L’Enfer c’est les hôtes - Karibou, Lionel Richerand - la chronique BD

Critique : La collection Pataquès offre de bien beaux exemples pour arrêter de croire que l’humour, en particulier absurde, est mort avec Desproges. Karibou a choisi un sujet assez simple, celui que Dante Alighieri avait déjà un peu approché, une visite dépoussiérée des Enfers, pour leur inauguration en vérité, aux côtés non pas de Virgile mais d’un Caïn peu effarouché, pécheur assumé et plutôt amical avec les diablotins qui commencent leur nouveau job. Satan, en manager qui rappelle davantage The Office que Devil’s Advocate, joue le rôle de guide pour des planches à thème : culpabilité, châtiments, péchés capitaux, routine, efficacité... Chaque fois, un mot perdu, une secousse inattendue ou une réaction incongrue viennent mettre à mal l’atmosphère pourtant morbide ou sanguinolente qui est dessinée. Toutefois, le meilleur de ce recueil de blagues absurdes provient de son sens originel, caché par l’ironie, celui d’une connaissance épaisse, touffue, solide des écrits de l’Ancien Testament, des failles de la Genèse qui servent à décrire Satan et Lilith (peut-être pas assez mise en valeur), la Chute, les différents seigneurs des Abîmes, tout un récit qui est ici distillé à travers des gags qui racontent en vérité toujours quelque chose, et souvent que la Bible aime se contredire.

© Delcourt / Richerand

Le dessin ne fait pas exception à cette ambivalence : s’il offre au premier aspect quelque chose de sérieux, avec des Démons qui au premier abord ont l’air plutôt répugnants ou dérangeants, avec un Caïn décharné dans ce physique de jeune grec tourmenté aux yeux vitreux, Satan étant probablement celui qui inquiète le moins avec son costume d’Halloween rétro, le dessin fait rapidement voler en éclat cette illusion, d’une grimace ou d’un vomi bien placés pour annihiler l’effort précédent. Plutôt équilibré, l’ambiance oscille donc entre grotesque et horreur pour toujours finir dans la farce, avec efficacité et sagacité.

© Delcourt / Richerand

Jovial et plein de malice, pointu sur les connaissances et absurde dans l’âme, cette reprise du titre de Sartre offre une nouvelle perspective sur ce lieu méconnu où les Damnés sont sensés passer l’éternité.