Critique : Dès les premières pages de L’amour égorgé, nous nous sentons comme familiers au décor, cependant loin d’être figé. Patrice Trigano a le don pour provoquer une proximité immédiate avec une flopée de personnages, hérauts littéraires ou individus à la dimension moindre, ayant réellement existé ou non. De nombreuses anecdotes, loin d’être monocordes, et nées en majorité dans l’esprit de l’auteur, contribuent à ce sentiment immersif.
La raison de cette impression diffuse pourrait trouver sa résonance dans nos souvenirs adolescents, période où les prises de position, tout comme les avis sans concession, sont fréquents (René Crevel suit une scolarité au lycée élitiste et parisien Janson-de-Sailly et compare ses camarades de chambrée à "une nébuleuse de l’esprit subversif").
De façon récurrente, René Crevel est sujet à beaucoup de cauchemars. L’écriture le soulage. Patrice Trigano évoque cette catharsis avec une patte de velours : "L’encre de son stylo se faisait sang pour témoigner de ses tourments" ou encore "en pleine nuit, il devenait funambule de ses acrobaties mentales."
Dans L’amour égorgé, les excès, les abus, les tentatives se répètent, s’affirment. Les changements de choix de vie, les exigences, et les croyances s’entrechoquent. L’amour (René Crevel découvre très tôt sa bisexualité assumée), les mouvements littéraires embrassés (le dadaïsme, le surréalisme, etc.), sont autant sources de bonheur que de malheur. Il en est ainsi de sa rencontre primordiale, pour son destin de poète, avec André Breton. Ce dernier lui commande certes des textes, mais son homophobie viendra clore le chapitre de leur amitié.
Le mal-être, au milieu de ce bouillonnement intellectuel de l’entre-deux-guerres, est inhérent à René Crevel. Il n’en échappera pas, la mort s’imposant comme une nécessité.