Lire et relire
Le 20 juin 2021
Raconter l’irracontable et comprendre l’incompréhensible.


- Auteur : Emmanuel Carrère
- Editeur : Gallimard, Belin
- Date de sortie : 18 mai 2019

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– Regards croisés : L’adversaire, le film de Nicole Garcia
Raconter l’irracontable et comprendre l’incompréhensible.
Incommodante rédaction pour Emmanuel Carrère, encombrée de questionnements sur le bien-fondé de son entreprise et la manière d’en éliminer tout voyeurisme ou complaisance. Il lui faudra sept ans pour venir à bout de son manuscrit entamé dans sa tête dès le jour du drame, le 9 janvier 1993, paru chez POL en 2000. Le drame ? Celui de Jean-Claude Romand, le faux médecin du Pays de Gex, assassin de son épouse, ses deux enfants et ses parents.
Le livre, écrit à la première personne, évite les écueils du jugement. D’une écriture volontairement plate, comme lessivée, il raconte l’irracontable et tente de comprendre l’incompréhensible.
Carrère met ses pas dans ceux de Romand, suit la piste de l’enfance où mentir était mal mais où l’on mentait quand même, par charité, pour ne pas faire de peine. L’habitude aurait-elle été prise alors et Romand - un garçon un peu faible, un peu falot, intelligent cependant - incapable de résister à ce diable, le mensonge, l’adversaire ? D’où l’inextricable engrenage alors qu’il aurait suffi d’une parole pour s’en délivrer, parole que Romand n’a jamais prononcée, "préférant" tuer plutôt que de perdre l’estime des siens ou, comme il le prétend, pour ne pas les faire souffrir. Malgré une armée de psychiatres délégués à l’instruction de son procès, on ne saura jamais quels étaient ses véritables motifs. Et encore moins on ne saura si son comportement d’aujourd’hui, à la prison de Châteauroux où il purge une peine à perpétuité, n’est pas une ultime mystification. Le sait-il lui-même, d’ailleurs ?
Implacable réflexion sur l’être et le paraître, L’adversaire renvoie chacun à sa part d’ombre, à ses propres petites mythomanies et menteries, dans un jeu de miroirs angoissant qui fait de ce qui n’aurait pu être que la relation d’un fait divers sordide, une œuvre à la dimension universelle.
Folio, 4,50 €