Nova Express
Le 2 novembre 2012
Un documentaire qui ausculte en profondeur les vies et morts du groupe Joy Division et de son chanteur Ian Curtis. Tout simplement incontournable.
- Réalisateur : Grant Gee
- Acteurs : Ian Curtis, Bernard Sumner, Peter Hook, Stephen Morris
- Genre : Documentaire, Musical
- Nationalité : Britannique
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 28 janvier 2009
- Plus d'informations : Le site officiel du film
L'a vu
Veut le voir
Un documentaire qui ausculte en profondeur les vies et morts du groupe Joy Division et de son chanteur Ian Curtis. Tout simplement incontournable.
L’argument : En 1976, quatre jeunes hommes issus de la post-industrielle Manchester se rendent à un concert des Sex Pistols. Fortement inspirés par ce show auquel ils ont assisté, ils décident de monter un groupe, Joy Division. Près de 30 ans plus tard, malgré une tragédie qui les a arrêtés dans leur élan, Joy Division connaît un succès et une influence plus grande que jamais. Leur héritage résonne tout particulièrement dans une industrie musicale actuelle carriériste et une culture pop surmédiatisée. Grâce à des interviews des membres survivants du groupe, aujourd’hui réunis sous le nom de New Order, et à des archives inédites, Joy Division se fait la chronique d’un changement social et politique en Angleterre et nous entraîne dans l’histoire de ces quatre hommes, qui ont transcendé les barrières économiques et culturelles pour produire une musique atemporelle.
Notre avis : Un an et demi après le formidable Control d’Anton Corbijn, ce rockumentaire sur l’étoile filante Joy Division vient nous rappeler, si besoin est, le rayonnement séminal d’un groupe à la radicalité souvent qualifiée d’aride ou d’hermétique. Cette entreprise signée Grant Gee (auteur d’un très bon documentaire sur Radiohead, Meeting people is easy, il y a dix ans) peut sembler redondante voire opportuniste après le succès critique du film de Corbijn. Mais il n’en est rien. Elle est au contraire essentielle, pour plusieurs raisons, la principale étant celle-ci : au fil du temps la musique de Joy Division s’est noyée dans la légende funeste et écrasante de son chanteur suicidé Ian Curtis. Le grand rock-critic Lester Bangs a dit un jour à propos de son groupe fétiche le Velvet Underground : « les Velvets ont marqué l’avènement de la musique moderne et leur influence semble éternelle (...). Qui d’autre a créé une œuvre dont on puisse dire cela ? En les remerciant pour ce précieux cadeau, la seule erreur qu’on puisse commettre serait d’y mettre trop de romantisme. » C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Joy Division. L’image romantique vénéneuse d’un groupe torturé, dont le leader s’est pendu avant la gloire, a pris le pas sur la musique proprement dite. La figure rimbaldienne du poète maudit a ses limites. C’est pour cela que le film de Gee choisit d’aller littéralement au-delà des clichés, notamment en resituant les photos du groupe dans les lieux originaux par montage superposé, et surtout en plongeant au cœur de la musique et des textes de Curtis en évoquant leurs multiples racines.
La première grande influence est géographique. Il s’agit de la ville de Manchester. Ancienne gloire de la révolution industrielle, empoisonnée par le béton et la pauvreté dans les années 70, Manchester est devenue une ville sale et ses égouts s’effondrent. La musique du groupe recrée cette âpreté urbaine et ses reliefs édentés grâce aux coups de triques de Stephen Morris, aux stridences métalliques de Bernard Sumner et surtout au bourdonnement hypnotique de la basse de Peter Hook, véritable charpente sonore qui s’apparente aux bruits mécaniques de la rue filtrés par le mur en béton d’un HLM. A cela s’ajoute la voix sépulcrale de Curtis délivrant des textes au lyrisme mélancolique touchant de vérité nue. Le tout crée un paysage musical et mental inédit, la radiographie d’un spleen intérieur s’épanchant et se répercutant sur un environnement extérieur menaçant. « Un autre monde » en quelque sorte, comme le disent certains intervenants dans le film, un univers de science-fiction dont la géographie semble modelée par nos angoisses, nos peines mais aussi nos espoirs et nos luttes.
Ce monde étrange est principalement influencé par les nombreuses lectures de Curtis : Ballard, Kafka, Dostoïevski et surtout William Burroughs dont les visions crues et syncopées (grâce la technique du cut-up) ont profondément marqué le jeune chanteur, à tel point qu’il réemploiera le titre d’un des romans de l’écrivain beat, Interzone, pour une chanson du premier album du groupe. Cette sensibilité littéraire infusée dans une musique radicale nous rappelle ce pseudo courant dénommé « Art Rock », terme employé jadis pour désigner les performances du... Velvet Underground, encore une fois. Etrangement, le parallèle entre les deux groupes saute aux yeux, bien qu’il ne soit pas consciemment souligné par le film. Comme Joy Division et Ian Curtis, le V.U. et Lou Reed ont été influencés par la beat generation (mais qui ne l’était pas dans les sixties ?!), leur musique et leurs textes étaient une réaction à leur environnement urbain immédiat (en l’occurrence New York) et s’ancraient dans une réalité crue. Bref ils ne trichaient pas. Lou Reed a rencontré le succès après le Velvet, comme New Order l’a rencontré après J.D. Notons également que le groupe reprenait sur scène l’immense Sister Ray du Velvet et que les deux formations ont connu une Factory chacune, celle de Warhol pour le Velvet et celle qui a donné son nom à leur maison de disque pour le groupe anglais.
On ne le répétera jamais assez, malgré sa courte vie, Joy Division est un des groupes de rock les plus importants de l’histoire. Le documentaire de Grant Gee, grâce à une sensibilité remarquable et une science du montage pertinente, nous le confirme avec ardeur et respect. Laissons le mot de la fin aux intrépides Wombats qui, avec un humour ravageur, sont peut-être les seuls à avoir su exprimer pourquoi nous aimons nous vautrer dans la musique des Mancuniens : « Let’s dance to Joy Division and celebrate the irony : everything is going wrong but we’re so happy ! ».
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.