Le 8 décembre 2020
- Chanteur : John Lennon
Il y a quarante ans, John Lennon mourait sous les balles de Mark David Chapman. Retour sur l’itinéraire d’un rockeur devenu mythe.
Avis : La période que nous venons de vivre sans la présence de John Lennon jusqu’à ce 8 décembre 2020 équivaut à sa courte vie sur Terre, brutalement interrompue par les balles dum-dum d’un revolver, au pied du Dakota Building, en 1980. Cette fin tragique, documentée par de multiples biographies, mise en scène à travers deux films oubliables, laissa des milliers d’âmes orphelines, parfois égoïstement attachées à l’idée que cette mort anéantissait pour toujours la reformation des Beatles, parfois tout simplement peinées, horrifiées par les circonstances de cette disparition. Une immense star de la musique assassinée ? On ne voit pas de précédent avant le décès du célèbre artiste. Avant 80, on tuait des personnalités politiques. Mais une icône de la culture rock...
Comment taire ?
A l’époque, certain-e-s qui glosaient volontiers sur les paroles des quatre de Liverpool, justifiant la valeur prophétique de certaines paroles (le célèbre "shoot me" de Come Together, partiellement couvert par la basse sinueuse de McCartney, le coup de feu soudain qui clôt le morceau Remember, la prophétie christique de La Ballade de John et Yoko -"ils vont me crucifier"), cherchèrent, à travers ces preuves mystérieuses comme la Kabbale, les causes d’une mort qui transformait définitivement cette vie en destin, pour reprendre la célèbre formule malrucienne.
Au temps du quartette, déjà, Lennon se gaussait de ces exégètes frénétiques à qui il offrit des os à ronger, avec une jubilation évidente ("Le morse était Paul" dans Glass Onion ou le sibyllin "Je suis lui, comme tu es lui, comme tu es moi, et nous sommes tous ensemble" dans le surréaliste I Am The Walrus, que John commentait sardoniquement à son ami d’enfance Pete Shotton - "voyons ce que ces connards seront capables de trouver là-dedans"). On se souvient que parmi les plus radicaux quelques-uns crurent à la mort de Paul McCartney. Les mêmes trouvèrent sur la pochette d’Abbey Road matière à satisfaire leur nouvelle vocation de sémiologues patentés. Ces "freaks avaient raison" commenta deux ans plus tard le châtelain hippie de Tittenhurst Park, dans le morceau le plus atrabilaire de l’album Imagine, "How Do You Sleep".
Neuf ans après, à l’heure d’un deuil qui n’avait, cette fois, rien de fictif, ce sont des fans en peine, bougies à la main, que filma le cinéaste Raymond Depardon. Le 14 décembre 1980, à Central Park, la foule fit silence pendant dix minutes captées en un plan-séquence circulaire. Dans le même espace vert, l’architecte-paysage conçut le mémorial Strawberry Fields, inauguré par Yoko Ono le 9 octobre 1985. Pour toujours, le souvenir de Lennon se trouvait associé à une célèbre chanson du groupe qu’il avait le premier quitté, mais qui étendit son ombre définitive sur lui, comme sur ses trois autres comparses.
Les fans des Beatles à chaque coin de rue
Comment poursuivre sereinement une carrière quand on a fait partie de la plus grande formation rock et que, sur ce globe terraqué, il existe peu d’espace où l’un des quatre peut échapper à quelques millions de pavloviens et à leur obsession exaspérante : "when will the Beatles go back together ?"
La sortie de Double Fantasy, le 17 novembre 1980, avait relancé les rumeurs autour d’une reformation du quatuor. Ben voyons. Il se murmure même que l’ex-fiancé de Liverpool, Paul McCartney, avait laissé un message sur le répondeur du résident new-yorkais, le jour de sa mort. On l’a lu quelque part, mais à proportion des bruits que suscitèrent les quatre Anglais pendant et après les swinging sixties, bien plus forts que les stridences ininterrompues du Shea Stadium, ce "on-dit" se perdit dans le vacarme des regrets qui entretiennent la tristesse en refaisant l’histoire, surtout quand on profile d’autres années 80.
Ce qu’elles n’ont pas été. Ce qu’elles auraient pu être. Ah, si ces quatre insubmersibles momentanément enfuis dans leur sous-marin jaune, avaient de nouveau sorti leur périscope, nous aurions certainement échappé à Ronald Reagan, Margaret Thatcher ou toute autre engeance née de cette décennie ultra-libérale !
En vérité, il ne vaut mieux pas imaginer les Beatles dans ce marigot. Penser tout simplement que même sans ce meurtre, la messe était dite depuis longtemps et tant mieux. En septembre 1980, Lennon lui-même avait clairement exhorté les jeunes générations à ne pas perdre leur temps avec ça, paraphant son propos destiné au journaliste David Sheff : "prenez votre pied avec Queen, Clash, tous les groupes qu’il y a maintenant".
Les groupes ne doivent pas vieillir
Oui, on peut l’avouer et peut-être que l’illustre défunt ferait chorus : quelle tristesse de voir des formations musicales agonir avec la lenteur d’un moribond, constater que leurs carrières à forte inclinaison, propres à tous les ensembles vocaux et instrumentaux qui n’eurent jamais la force, le courage, la sagesse de se séparer en occultant les intérêts financiers, ne font jamais mentir l’alliance du temps passé et de l’inspiration envolée ! On pense bien sûr aux meilleurs ennemis, les Stones, qu’un très bon livre de François Bégaudeau sorti en 2005 déclarait en état de mort clinique, depuis que son leader, après le concert d’Altamont en 1969, avait opté pour une scission définitive avec le public. Assurément, Jagger ne capterait plus l’air ambiant, mais il n’était pas tombé sous les balles d’un Meredith Hunter, lui-même massacré par les Hells Angels. Lennon, lui, ne sut éviter le revolver d’un cinglé, onze ans plus tard.
Ô solo mio
Dans l’intervalle, l’ancien Beatle avait accompli sa carrière solo, plus erratique que ne le laissent entendre quelques raccourcis recouverts par la légende et les exclamations admiratives. Certes, il y eut Imagine, où, une fois n’est pas coutume, l’artiste abandonnait l’énonciation à la première personne pour privilégier une interlocution qui se trouvait déjà dans Working Class Hero, sous une forme bien plus âpre : "As soon as you’re born/They make you feel small". Certes, sur le deuxième album solo du rockeur, on remarqua aussi Jealous Guy, mélodiquement viable depuis les sessions du Double Blanc (sous le titre "Child of Nature"), magnifié par les cordes de Spector et surtout l’extraordinaire partition du prodige Nicky Hopkins. Enfin, un saut de mouton par-dessus quelques albums plus anecdotiques (Mind Games et Walls and Bridges) nous entraîne déjà au dernier chapitre où l’on repère Woman, cette onctueuse sucrerie pop, version eighties du célèbre Girl de Rubber Soul.
Regrets posthumes
Soudain, plus rien : des coups de feu dans la nuit new-yorkaise, les cassettes de Walking On Thin Ice - le seul tube de Yoko Ono - disséminées sur le trottoir (Lennon y assure un somptueux de solo de guitare), des chansons quasiment laissées à l’état de maquettes, parues sur le posthume Milk and Honey, qui ne permettent pas d’établir la preuve intangible d’une Muse retrouvée, même si, à l’évidence, I Don’t Wanna Face It ou Nobody Told Me annonçaient bien des promesses, tandis que Grow Old With Me avait tout du futur standard dans la discographie de son auteur.
Orphelin d’un talent, on se mit à gratter les fonds de tiroir à la recherche d’opus graduellement anecdotiques (on ne citera que Menlove Avenue, sorti en 1986, dont le seul intérêt s’appelle Andy Warhol, auteur de la pochette).
John Lennon, un artiste moderne ?
Et puis, il faut bien l’avouer : le défunt ne nous avait pas aidés à discerner un potentiel avenir, n’avait pas semé d’indices. En plein période new wave, John Lennon ne semblait pas avoir pris le train en marche, demeurant globalement fidèle à ses inspirateurs rock (Gene, Buddy, Roy, Elvis), à qui, dans une session d’enregistrement de "(Just Like) Starting Over", il adressa un amical "bonjour", par-delà les années.
Pas plus de trace de disco ou de rap qui, pourtant, émergeait des ghettos états-uniens. Ni de ska, alors si populaire, avant de refluer rapidement. L’ex-Beatle avait été un peu briefé par son assistant personnel Fred Seaman qui lui avait mis les Selecters, les B-52’s ou Lene Lovich dans les feuilles. Mais aucun de ces artistes n’a vraiment infusé dans les ultimes morceaux de Double Fantasy. Pour autant, le chanteur ne serait peut-être pas resté sourd à certaines ambiances du moment, lui qui les prisa volontiers dans les derniers mois de sa vie, surtout lorsque résonnait le puissant I’m Coming Out de Diana Ross, sur les dancefloors des Bermudes. Le chanteur y effectua son dernier long voyage, à l’été 1980.
Hypothèses
Quarante ans, ce sont quatre décennies de perdues, entre des morceaux qu’on n’a cessé de regretter puisqu’ils n’existeront jamais, d’hypothétiques réunions pour Beatles fans névrotiques, très heureux qu’on leur ait offert en 1995 une pépite improbable depuis longtemps diffusée en bootleg ("Free As A Bird"), des duos insipides qui seraient peut-être advenus, auraient acquis la matérialité d’une vision cauchemardesque : Lennon et Mercury se trémoussant comme Bowie et Jagger dans Dancing In The Street ? Non, on n’aurait pas pu l’imaginer. Les retrouvailles avec un certain ami rencontré lors d’une fête paroissiale ne nous auraient pas plus enchantés, si elles avaient couronné le célèbre Band Aid de Bob Geldof. Trop évident, trop dilué dans l’ostentation de ces années-là.
Mais peut-être que Lennon l’aurait définitivement épousée, cette "décennie fric", aurait alors fâché tous ceux qui avaient attentivement écouté Some Time in New York City, où le chanteur défendait le poète et ancien manager des MC5, John Sinclair, célébrait aussi la militante des droits humains, Angela Davis. Faire émerger la possibilité de cette déception, c’est aussi se rappeler qu’avant même d’être tué, le rockeur fut attaqué pour avoir renié ses utopies. C’est l’angle que choisit le journaliste Laurence Shames, lorsqu’il signa un article à charge, dans le numéro d’Esquire daté de novembre 1980. Mark David Chapman en fut un lecteur très attentif.
Le même a définitivement clos l’histoire, fait irruption de la manière la plus violente qui soit, il y a quarante ans. Davantage qu’à la naissance d’un mythe définitif, c’est surtout à un homme lâchement abattu qu’on pense aujourd’hui.
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