Le 1er novembre 2017
- Réalisateur : Léonor Serraille
- Acteurs : Nathalie Richard, Souleymane Seye Ndiaye, Lætitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Léonie Simaga
- : Shellac
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Belge
- Date de sortie : 1er novembre 2017
- Durée : 1h35mn
- Festival : Festival de Cannes 2017
Premier long métrage d’une ancienne de la Femis, le film de Léonor Serraille est à l’instar de son personnage : libre et débordant de vitalité. Jeune femme porté par l’extraordinaire Lætitia Dosch échappe aux conventions de la comédie sentimentale et du récit initiatique, par un savant patchwork de situations qui sonnent juste.
Résumé : Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches : voici Paula, de retour à Paris après une longue absence. Au fil des rencontres, la jeune femme est bien décidée à prendre un nouveau départ. Avec panache.
Critique : Le film démarre sur un ton agaçant, avec un air de déjà-vu qui pourrait décourager. Une jeune femme larguée pète un plomb, vocifère à en perdre les cordes vocales, se cogne contre un mur jusqu’au sang. Aurions-nous affaire à un nouvel ersatz de trentenaire névrosée, cousine française de Bridget Jones ? Serait-elle la petite sœur de l’antihéroïne en borderline incarnée naguère par Valeria Bruni Tedeschi dans Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel ? La caméra la traque, et les rares seconds rôles ont droit à de furtifs contrechamps : une version à peine édulcorée de La femme défendue de Philippe Harel ? Que nenni : ces appréhensions s’avèrent vite dissipées, et Jeune femme trouve ses marques en distillant un réel charme. Il s’agit du scénario de fin d’études de Léonor Serraille, diplômée de la Femis, et qui avait réalisé un moyen métrage inspiré, Body, avec Nathalie Richard, ici dans le rôle de la mère, guère plus équilibrée que la fille.
- Copyright Shellac
Paula est fragile mais déterminée, et doit choisir entre la liberté et l’intégration. Le dilemme est d’autant plus délicat que la jeune femme croise sur sa route soit des êtres conformistes qui entravent sa fantaisie, soit des personnages dont les fêlures ne peuvent compenser son manque de repères. Seul le collègue de la boutique dans laquelle elle a trouvé un emploi précaire est à même de la combler, à travers une amitié amoureuse qu’elle semble apprécier. Mais un matou encombrant, une grossesse imprévue et le retour de l’ex compliquent les arbitrages de Paula… « Je suis attachée à ces tempéraments à la fois forts et vulnérables, trahis par leurs qualité, sublimés par leurs failles », a déclaré la réalisatrice. Le résultat est prometteur. Léger, gracieux, dynamique, attachant : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier ce premier long métrage dont la concision n’est pas la moindre qualité, comparativement à nombre de comédies poussives s’étirant sur deux heures.
- Copyright Shellac
Le sentiment d’improvisation de certains passages (la complicité avec la petite fille) est en fait en trompe-l’œil : Léonor Serraille fait preuve de réelles qualités d’écriture et de dialogue, et un montage elliptique insuffle un véritable rythme au récit, contribuant à la fluidité de la mise en scène. Il faut aussi souligner que le film a été porté par une équipe de talent majoritairement féminine, de la productrice Sandra de Fonseca à la directrice de la photo Émilie Noblet, en passant par ses dynamiques actrices dont Laetitia Dosch (La bataille de Solférino) ou Léonie Simaga (ex-pensionnaire de la Comédie-Française). Même si des œuvres plus ambitieuses et abouties auraient pu prétendre à la Caméra d’or (on pense en particulier à Petit paysan ou Pour le réconfort), Jeune femme n’a pas démérité son prix et révèle une auteure à suivre.
Gérard Crespo
Critique : La première scène est un hurlement : une femme frappe à la porte. Puis elle témoigne face caméra, presque le nez sur l’objectif, se confie dans une logorrhée rageuse. Elle prend à partie un médecin en blouse, le doigt levé. Le ton est donné. Paula revient sur Paris, elle s’est fait larguer, mais ça n’a pas dû pas être simple pour son mec. Ce n’est pas plus facile pour le praticien qui l’écoute : elle éructe, jette un verre, l’envoie chier. La jeune femme est une boule d’énergie indomptable lancée dans le grand flipper de la vie, ne cesse de ricocher contre des parois qui s’appellent : des portes fermées, des voisins lui enjoignant de se taire, l’incompréhension de convives à une soirée, une copine exaspérée et prompte à la virer de son domicile, le gérant d’un hôtel qu’elle reçoit à poil dans sa piaule. Pêle-mêle et sans volonté d’organisation.
Le récit en pointillés est une juxtaposition de situations qui absentent toute forme de causalité. Il y a juste un chat angora, le sien : l’héroïne le bichonne, le promène parfois dans les cimetières. On repère aussi une mère dédaigneuse, mais elle passe comme le café. Dans une tradition psychologique du film à la française, on l’aurait maintenue plus longtemps, pour documenter les fondements d’un malaise.
L’espace que le personnage libère est occupé par des rencontres hasardeuses : ainsi, cette ancien copine d’école revue dans le métro, qui vient en aide. Puis elle part, elle aussi, ne réapparaîtra que le temps d’une soirée. Les situations précaires s’enchaînent, mais Paula est "une force qui va".
Depuis le temps qu’on en avait assez de ces récits de trentenaires, hommes et femmes, coincés entre les cloisons d’un parcours verrouillé, objet de déterminations attendues, privilégiant des configurations sociologiques bien établies, avec des ressorts psychologiques usés jusqu’à l’os, Jeune femme envoie valser les conventions propres à la comédie de mœurs façon Irène, trop souvent rattrapée par la sentimentalité, fragmente son récit en éclats d’existence. La protagoniste y est l’expression même de la vitalité dans ce qu’elle a de plus spontané, tantôt sans gêne, touchante, blessante, blessée, menteuse, ironique, hélant le quidam parisien pour taper la discute, solitaire sous la lumière diffractée d’un stroboscope, souriante sous le soleil. Dans le rôle principal, Lætitia Dosch crève l’écran.
Jérémy Gallet
Festival de Cannes 2017 : Caméra d’or
Galerie photos
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