Le 4 juin 2003
- Acteur : Jean Yanne
- Voir le dossier : Nécrologie
Curieux exercice que de rédiger un hommage à celui qui avait les honneurs et les cirages de pompes en sainte abomination.
Jean Yanne n’avait même pas trouvé bon, en son temps, de se déplacer pour aller chercher son prix d’interprétation à Cannes. Il prétendait qu’il ne savait pas à quoi ça ressemblait. Des boutons de manchettes ? ironisait-il… Et le voilà qui fait la une des journaux en plein festival, pour un rôle qu’il aurait certainement préféré jouer plus tard.
Le râleur de service a cassé sa pipe en parfait démenti avec une réplique de son acabit [1] : "Si les gens meurent moins de crises cardiaques c’est qu’ils meurent avant pour d’autres raisons." Ça lui a plu, certainement, de se contredire lui-même. Il n’était pas à une pirouette près, le dénommé Jean Gouyé, parangon de mauvaise foi, qui a vécu soixante-neuf ans et des poussières et qui a rempli sa vie à sa façon. Plutôt bien. Carrément libre. Et n’ayant jamais peur de mettre son poil à gratter là où ça fait le plus mal. Du côté de la crasse bêtise franchouillarde. Emblème national du fort en gueule, féroce jusqu’à la méchanceté, il n’a cessé à la radio, à la télé, dans ses films, dans ses livres, de poser son regard sarcastique sur notre société, de cultiver son personnage d’ours mal léché, de bougonner sa hargne dans un style inimitable où l’absurde et l’acide faisaient bon ménage.
Les humoristes sont utiles à la société. Plus que les philosophes, affirmait-il. Dont acte. Il n’est plus là pour entamer une polémique. La postérité jugera si l’humour yannesque mérite l’éternité. Mais une chose est sûre, c’est que les acteurs de sa trempe marquent leur époque. Jean Yanne a tourné avec les plus grands réalisateurs français qui lui ont servi sur un plateau des rôles de râleurs, de cyniques et de parfaits salauds. Qu’il endossait avec un naturel confondant.
Mais quelle était la vraie nature de Jean Yanne ? Que cachait cette carapace ? Le public, qui l’aimait tant, n’était pas dupe. Nous non plus… Avec ses yeux de chien battu et son regard d’enfant, c’était un tendre au fond de lui-même. Un tendre qui jouait au dur pour gommer ses bleus à l’âme. Et qui de temps en temps gribouillait une chansonnette mi-figue mi-raisin qui le dévoilait bien plus que ses souvent douteuses plaisanteries. Et puisque tout finit par des chansons, il ne nous reste plus qu’à lui offrir un petit bout d’une des siennes en guise d’épitaphe…
"Si tu t’en irais /si tu me laisserais seul au monde / des fois que t’aurais eu connu / quelqu’un que t’aimerais encore mieux
Si tu t’en irais / si tu serais plus ma blonde / si des fois tu m’aimerais plus / ah qu’est-ce que je serais malheureux"
Et qu’est-ce qu’on est malheureux nous aussi, pardi, de savoir qu’on ne verra plus ta grande gueule !
Ses principales dates
1933 : Naissance à Paris dans un milieu ouvrier
1957 : Après 33 mois de service militaire et un court passage au Centre de formation des journalistes (il y rencontre Philippe Bouvard), il fait ses débuts au cabaret et à la radio (Radio Luxembourg puis Europe 1), commence à écrire des chansons, co-scénarise des films
1963 : Il commence à faire l’acteur de cinéma avec Claude Lelouch dans La femme spectacle (un vrai nanar, soit dit en passant)
1967 : Il obtient son premier grand rôle, celui d’un râleur invétéré, dans Week-end de Jean-Luc Godard
1969 : Première collaboration avec Claude Chabrol dans Que la bête meure
1970 : Encore un Chabrol et un tout grand cru : Le boucher
1972 : Prix d’interprétation à Cannes dans Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat
Crée sa propre maison de production, Cinéquanon
Tourne coup sur coup deux films dont il est le réalisateur : Moi y’en a vouloir des sous dans lequel le capitalisme et le monde politique prennent un sale coup, et Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, satire au vitriol de la radio commerciale, énorme succès populaire
1974 : Les Chinois à Paris, parodie de la collaboration sous l’occupation allemande lui vaut... une plainte officielle des autorités chinoises
1982 : Il s’attaque au péplum dans l’hilarant Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, où il dirige Coluche, son héritier en ligne directe
1984 : Il tourne son dernier film en tant que metteur en scène, Liberté, égalité, choucroute, iconoclaste vision de la Révolution française et flop retentissant
Depuis cette date, tout en continuant à faire le pitre radio-télévisé et à publier régulièrement ses recueils de "pensées", Jean Yanne a beaucoup tourné en tant qu’acteur. Quelques rares premiers rôles et beaucoup de seconds rôles dans lesquels il excellait. Citons Madame Bovary de Claude Chabrol et Indochine de Régis Wargnier en 1991, Enfants de salaud de Tonie Marshall en 1996, Hygiène de l’assassin de François Ruggieri et Je règle le pas sur le pas de mon père de Rémy Waterhouse en 1999, Les acteurs de Bertrand Blier en 2000. Il venait d’endosser le rôle du père dans Les Thibault de Roger Martin du Gard, adapté pour la télévision par Jean-Daniel Verhaege, qui sera diffusé cet automne.
[1] Dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
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