Le 12 août 2024
- Dessinateur : Buichi Terasawa
- Famille : Manga
- Editeur : Isan Manga
- Festival : Japan Expo 2024
Rien que sur le dimanche de clôture, il y avait une belle conférence en hommage à Buichi Teresawa, mais aussi un podcast enregistré en live sur le manga et la santé mentale, une présentation de youtubeuse japonaise autour de la cuisine, un retour sur le film Ring et un point sur le développement à venir du webtoon en France.
Résumé : Nous allons vous évoquer quelques-unes des nombreuses rencontres de la Japan Expo 2024 qui ont eu lieu au cours de ces quatre jours de folie qui ont scandé notre mois de juillet.
La variété de l’offre de la Japan Expo en terme de conférence et autres nous surprendra toujours.
Deux extrêmes, une youtubeuse japonaise venue à la convention pour parler de sa chaîne vidéo où elle se filme en train de consommer des plats et de l’autre côté, un podcast enregistré en live et en public sur le thème de la santé mentale et du manga.
Flavien Appavou, un des deux animateurs du podcast
Flavien Appavou et Wallo reçoivent Mademoiselle Soso pour aborder ce sujet.
Wallo, l’autre animateur...
Nous nous sommes dit : « Ah, une rencontre qui va évoquer les mangas qui dérangent notre santé mentale, en route pour les effets de Tokyo Ghoul ou autre Elfen Lied sur notre psyché ! » C’était l’idée, mais en l’inversant. Flavien, Wallo et Mademoiselle Soso ont cherché ces moments, dans les mangas, qui nous permettent d’aller mieux et de comprendre des choses sur nous-mêmes, qui sont sources de conseils positifs et de mieux-être.
Mademoiselle Soso, l’invité de case départ
Et ce sont Pluto, Spy Family ou encore Docteur Stone qui étaient évoquées. Plutôt que de vous reparler en détail de tout ce qui a été dit, nous vous recommandons d’aller écouter cet épisode de Case Départ (le neuvième de la troisième saison, pour être précis) ! Vous n’aurez pas l’image mais bien tout le son et les quelques questions du public.
À côté de l’approche ludique mais sérieuse, il y avait des conférences sur des sujets moins fun mais tout aussi intéressant. Celle consacrée au possibilités de développement du webtoon en France par exemple. Son titre était « Digital vs papier, les français sont-ils anti-numériques ». il y avait là plusieurs participants :
- Emilie Coudrat, Head of Business pour la plate-forme webtoon Naver, qui propose uniquement du webtoon dans tous les genres,
- Pierrick Grosnier, directeur marketing de la plate-forme Ono (gérée par Dupuis), diffusant du manga et du webtoon,
- Romain Régnier, CEO de la plat-forme Mangas.io, application de lecture de manga en France.
Ils nous ont présenté les chiffres du marché de la BD en Corée du Sud et au Japon. En 2022, la Corée du Sud générait plus d’un milliard d’euros sur ce secteur. Le marché du manga au Japon est à cinq milliards d’euros (soit dix fois plus qu’en France). Mais le chiffre important est qu’au Japon, environ soixante-dix pour cent de ce chiffres d’affaires repose sur le manga numérique. De grands éditeurs nippons, comme Shueisha, ont vu leur évolution vers le numérique porter ses fruits, puisque plus de cinquante pour cent des ventes passent par le net.
Des diagrammes pour mieux comprendre l’évolution du marché
En Corée du sud, le numérique est arrivé au début des années 2000 suite à une énorme crise financière qui a entraîné la fermeture de plusieurs éditeurs papiers en 1997. La Corée s’adapte vite, des grandes entreprises de l’internent comme Naver et Daum n’ont pas attendu longtemps pour s’engouffrer sur le marché naissant du numérique en Corée du Sud, et cela était une belle stratégie car aujourd’hui, leurs webtoons sont publiés dans le monde entier. Alors qu’en France, les recettes de la BD numérique ne décollent toujours pas...
Mais si les recettes ne décollent pas, cela ne veut pas dire que les lecteurs ne sont pas au rendez-vous ! Juste pour la plate-forme Webtoon Naver, on compte plus de deux millions de lecteurs mensuels. Et on en vient à un des problèmes, comment mesurer l’impact économique du webtoon sur le marché de la BD ? Sur Naver, les BD sont en libre accès, ce sont les ventes de licences, les pass que peuvent acheter les lecteurs pour avoir accès plus rapidement à des épisodes qui génèrent des revenus.
Un autre point à prendre en compte est que nous avons en France dix ans de retard sur le Japon et vingt ans sur la Corée du Sud. Comparer les chiffres avec ceux du marché asiatique n’est pas forcément révélateur de tendances opposées. De plus, autre souci, tous les éditeurs ne numérisent pas forcément leurs œuvres, à l’inverse de ce qui se passe au Japon. Même si la plate-forme Izneo a beaucoup contribué a apporté une offre de BD numérisée au public.
Un autre élément repose aussi sur le fait que le webtoon et les autres formats numériques ne sont pas connus en France, il y a tout un travail de communication à faire et donc de l’argent à investir alors que le marché du numérique est estimé à deux à trois pour cent du marché de la BD. Une enquête menée à la Japon Expo a permis de relever que dix pour cent des lecteurs achètent un manga numérique sur le web, alors que quatre-vingt trois pour cent d’entre eux lisent des manga numérique sur des sites illégaux.
Une des difficultés à surmonter est donc la proposition d’une offre qui parle au public et qui lutte contre le piratage. On dénombre de nombreux sites pirates, qui génèrent dix-sept millions de visiteurs uniques par mois, alors que les sites de manga légaux brassent un million de visiteur unique mensuels.
Emilie Coudrat et Romain Régnier
Une plate-forme de manga webtoon, Piccoma, a annoncé en Juin qu’elle fermait ses portes. Mais il ne faut pas voir cela comme un aveu d’échec et en déduire que le manga numérique et le webtoon ne trouvent pas leur place en Europe. Il y avait peut-être pour Piccoma un choix de business model qui n‘était pas adapté.
Sur Ono, comme sur Webtoon, on peut lire beaucoup d’épisodes gratuitement et en débloquer de nouveaux plus vite en investissant de l’argent. Ono mise sur un studio de Webton à Angoulême, pour créer des licences à développer et adapter afin de générer des revenus. Des représentants des studios coréens viennent leur apprendre comment développer le webtoon. Les Coréeens savent la masse de travail que cela représente. En France, on se rend moins compte du temps de travail que demande la création d’un webtoon.
Mais ce modèle du webtoon jouant sur l’investissement volontaire financiers des lecteurs ne fonctionne pas forcément pour le manga numérique. Car ce dernier dispose de beaucoup de séries achevées, patrimoniales, et ne peut pas jouer sur le modèle de la frustration du lecteur qui ne veut pas attendre.
Dans ce cas, le modèle adapté serait celui du catalogue, à la Netflix. On paye un abonnement et on a accès à tout un ensemble de BD. Et si une série disparaît du catalogue, on n’est pas lésé, car on a toujours accès à tout le reste.
De plus, le modèle de consommation entre webtoon et manga est différent. En manga, ce sont des éditeurs de contenus, des sociétés d’édition, qui produisent du manga pour la vente en ligne ou en papier. Ces ventes sont leurs principales sources de revenus.
En webtoon, on a des plate-formes technologiques qui ont développé du contenu pour capter des lecteurs et pouvoir leur vendre d’autres services. La BD n’est pas leur unique source de revenus. Dans le webtoon, il est dur de lancer une application de contenu, car il faut de gros investissements de départ et aussi des compétences technologiques, qu’ont forcément ces grandes entreprises du web.
Pour Webtoon Naver, une surprise a été de voir l’engouement des maisons d’éditions, et pas forcément les plus connues, pour leur contenu. Michel Lafont est devenu l’éditeur papier des séries webtoon Naver qui marchent le mieux. Mais la question se pose de l’avenir de ce marché en France.
Pierrick Grosnier au micro
Là encore, différentes pistes sont proposées. Le marché grandit petit à petit et pour que cela fonctionne encore mieux , il faudrait demander aux utilisateurs quelle sont leurs attentes. Il faut aussi proposer des projets de création.
Ce que l’on constate, c’est que pour le webtoon et le manga, le numérique devient l’oeuvre première, et le papier un produit dérivé du numérique ; si la tendance continue, les jeunes créateurs en France seront sur le net avant d’être édités en librairies. Un autre point important est le vieillissement de la population et donc l’évolution du pouvoir d’achat mais aussi des goûts des lecteurs et lectrices. Et les modes de consommations peuvent aussi varier. Le smartphone revient principalement, pour un public de 15 à 25 ans qui l’utilise souvent dans les transports. Une autre constatation est l’emploi de la tablette pour lire le soir une fois calé dans son canapé.
Mais on ne peut savoir les modes de consommation qu’en fonction d’une plate-forme. Chaque plate-forme devrait mettre ses résultats en commun afin d’en déduire une vision globale. Ce qui ressort pour Webtoon Naver, Ono et Mangas.io, c’est majoritairement la lecture dans les transports en commun.
Les trois plate-formes, via leurs représentants présents ici, ont bien conscience qu’il faut faire connaître le webtoon et aussi le manga numérique et proposer aux jeunes de venir lire tout ce que peut proposer ces deux formats de BD numériques.
Retour sur Ring avec Ino Rie, Pierre Giner, Takuya Wada et Ed le fou.
Après cette rencontre riche en informations, nous avons vu une autre conférence autour du phénomène Ring avec deux invités de marques : Takuya Wada, qui a dirigé les maquillages d’effets spéciaux des films de la licence et Ino Rie qui a fait une entrée fracassante déguisée en Sadako !
Ino Rie et Pierre Giner, de Animeland
En effet, c’est l’actrice qui a incarné ce fantôme sur les écrans pour effrayer les grands (et les petits qui n’ont pas écouté leur parents). Une belle occasion de revenir sur les éléments phares de la licence et quelques anecdotes pour se détendre.
Petite surprise, nous avons revu Takuya Wada plus tard, lors d’une autre intervention, alors qu’il n’était pas prévu. Il a en effet accepté de donner un peu de son temps pour la rencontre autour de Buichi Terasawa !
La conférence qui restera dans les mémoires, puisqu’elle a eu lieu le dimanche après-midi, une des dernières de la programmation et qu’elle a permis de présenter la carrière étonnante de Buichi Terasawa, en complément de l’exposition qui lui était consacrée et dont nous avons parlé dans un précédent article.
Pour cette rencontre, Pierre Giner, rédacteur au magazine Animeland, Jean-François Dufour de la maison d’édition ISAN Manga et Loudde, président de l’association Bande Animée et travaillant aussi à Manga News. Pour animer cette rencontre, Ed le fou ! Sans oublier l’invité surprise que nous vous avons révélé quelques lignes plus haut, Takuya Wada qui a été animateur sur la série animée Cobra (adapté du manga de Buichi Terasawa, la boucle est bouclée) !
Pierre Giner, Jean-François Dufour et Loudde
Tout ce petit monde n’était pas de trop pour parcourir la vie et l’œuvre de ce mangaka qui nous a quittés en 2023.
Buichi Terasawa est né en 1955, dix ans après la seconde guerre mondiale, alors que le Japon se remet du choc et a entamé une course économique. Vingt ans plus tard, en 1975, il échoue à intégrer la faculté de médecine mais découvre le manga et surtout qu’on peut gagner de l’argent en participant à des concours. Buichi Terasawa est donc entré dans le monde du manga pour gagner sa vie. Il a démarré en travaillant sur des shojo et devient assistant de Osamu Tezuka (le papa d’Astroboy et du Roi Léo, entre autres) en 1976, après avoir vu une annonce. Avec le créateur du renouveau du manga des années 1950/1960, Buichi Terasawa apprend l’art du story telling, la capacité à aller à l’essentiel sans se perdre. Il a travaillé sur Black Jack ou encore Phénix, deux grandes œuvres de Tezuka. Il voit finalement ses efforts récompensés quand, en 1978, une série qu’il a créée est publiée dans Shonen Jump, un des (nombreux) magazines de prépublications. Et le manga de Terasawa ouvre une nouvelle ère : pour la première fois, un héros de Shonen n’est pas un adolescent, mais un adulte. Son expérience du Shojo l’amène à une autre approche graphique.
Mais ce n’est pas la seule nouveauté, Cobra est une œuvre de science-fiction, tranchant avec les genres forts de l’époque : le sport, le combat ou l’humour. Et de plus, Buichi Terasawa, grand amateur de cinéma français, s’inspire de visage célèbre, Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo, pour son personnage principal. Il intègre des éléments en référence à certains films, comme Star Wars ou encore Rollerball !
Il faut attendre 1982 pour que le manga soit adapté au cinéma et puis en série animée. Buichi Terasawa a été déçu de la version cinéma et du coup s’est plus impliqué dans la version télévisée de son manga. Il a même demandé la participation de Yuji Ono pour la musique, car il voulait que Cobra rappelle Lupin III, dont Ono a été le compositeur. Celui-ci n’a pu réaliser que la musique du générique dans une ambiance jazz. Le manga s’achève en 1984. Et Buichi Terasawa enchaîne en 1985 avec une nouvelle série, Black Knight Bat, qui n’a pas rencontré le succès escompté. Terasawa pour cette série a choisi une héroïne dans un univers de fantasy spatiale, là encore, il sort des normes de l’époque.
Buichi Terasawa devant un vieux modèle de l’Apple II
Mais Terasawa avait découvert l’Apple II aux États-Unis. Et il a réalisé les planches de Black Knight Bat avec l’ordinateur, cette série présente donc les premières planches créées numériquement au Japon. Son approche était tellement innovante qu’il eu droit à trois pages dans Shonen Jump pour expliquer ces choix techniques. Mais à l’époque, le dessin à l’ordinateur prend tellement de temps qu’il n’y aura que huit pages réalisées de cette manière. Car Buichi Terasawa se servait aussi de l’ordinateur pour les couleurs.
une page colorisée par Buichi Terasawa à l’ordinateur
Bien des années plus tard, il remettra quatre-vingt pages en couleur qui ne sortiront qu’en France.
Mais revenons en 1986, Terasawa rebondit et sort une nouvelle série, Midnight Eye Goku. Dans un futur proche, un détective est attaqué par la mafia, et sauvé par une organisation mystérieuse. C’est une nouvelle série SF avec un concept novateur à l’époque, tous les ordinateurs sont reliés et contrôlés par un satellite. Le détective va se voir greffer un troisième œil qui contrôle, les ordinateurs. Hacker Cyberpunk et Watchdogs avant l’heure !Il y a deux OAV adapté de ce manga.
En 1987, Buichi Terasawa fonde son propre studio, à l’image de bien d‘autres avant lui, dont Tezuka. Ces propositions de nouvelles histoires ne collant pas avec les productions du moment, il va pouvoir ainsi créer des titres plus singuliers et de l’autre côté, il se finance en réalisant des story boards pour le jeu vidéo et des films publicitaires.
Buichi Terasawa, on l’a vu, avait voyagé aux États-Unis, il se tenait au courant des avancées technologiques et les utilisait. En 1992, il lance un nouveau manga, Takeru, tout en couleur, qui devient le premier manga dessiné par ordinateur. Un nouvel univers mixant science-fiction et fantasy.
Il n’a pas arrêté ces déplacements et on le retrouve en 1991 à Angoulême puis à la Convention de San Diego, ou encore au festival du comics de Barcelone en 1993.
En 1995, il sort une nouvelle version de Cobra, mélangeant des histoires inédites qui lui prennent beaucoup de temps et la colorisation des histoires anciennes, qui se relève plus rapide. Il faut attendre 1999 pour voir une nouvelle série, ce sera Gun Dragon Sigma. Une série expérimentale utilisant des photos de vraies actrices détourées pour être intégrées dans un univers de science-fiction. Mais la technique l’emportait sur la narration. À l’époque, il n’y avait pas d’assistant formé à l’ordinateur, Buichi Terasawa devait tout faire lui-même.
En 2002, Terasawa est frappé par une tumeur au cerveau. Un traitement lourd et une opération le laissent diminués. Il va ralentir sa production mais ne lâchera rien sur la qualité. En 2018, il annule sa présence à la Japan Expo pour des raisons de santé. Les dernières années sont difficiles, Buichi Terasawa se retrouve enfermé dans son corps et sa maison, qu’il doit transformer pour en faire une demeure médicalisée. Son esprit est toujours vif mais son corps ne suit plus, tout ce qu’il gagne passe dans les soins. Une immense frustration s’empare de lui.
Takuya Wada et Pierre Giner
Takuya Wada qui rejoint les invités de cette conférence, raconte qu’il l’a revu en 2022, il l’avait rencontré à l’époque de la première série animée Cobra, où il travaillait comme animateur. Buichi Terasawa décède en 2023. Son héritage demeure dans ses innovations autant narratives que technologiques. Quand il est passé au numérique, tout le Japon était encore dans les méthodes traditionnelles. Et les résultats annonçaient les changements à venir. Dans ses techniques, Buichi Terasawa avait toujours énormément d’avance.
Il nous reste aujourd’hui ses récits phares et toutes ses expérimentations dont la richesse ne doit pas être oubliée.
Il nous reste aussi ses dessins, qui ont émaillé la conférence sur le grand écran...
C’est avec cette conférence que se finit notre tour de la Japan Expo 2024. On espère bien, après tant de découvertes, revenir l’année prochaine.
Galerie Photos
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