Remue-ménage
Le 4 avril 2006
D’une histoire apparemment anodine - l’embauche d’une femme de ménage - Nathalie Kuperman tire une fable universelle. Aussi décapante qu’un grand nettoyage de printemps.
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- Auteur : Nathalie Kuperman
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française
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Ce qui hisse J’ai renvoyé Marta au rang de véritable bijou, de ces petits textes rares qu’on n’a de cesse de partager, c’est le don de l’auteur pour se colleter aux faiblesses, aux pensées un peu lâches, un peu viles, à toutes ces choses pas très jolies qui nous traversent et que, d’habitude, on n’ose pas dire.
Nathalie Kuperman, elle, soulève allègrement les tapis, à commencer par les siens. Elle traque la poussière, la crasse, le grain de sable dans nos machines ronronnantes. Peur de l’étranger, de l’intrus, besoin vital, presque dément, d’être reconnu et choisi, serait-ce par le garçon du café où l’on a ses habitudes, méfiances primales et maniaqueries qui tiennent du rituel, tout y passe. Du coup, on en rirait presque de se voir si moche en ce miroir à peine grossissant. Mais d’un rire jaune, pas franchement triomphant.
C’est pourtant une autre corde à l’arc de l’auteur qui prend le plus au ventre dans ces pages : celle qui consiste à glisser des pièges sous les pas du lecteur. On se croit en terrain familier - ah oui, le quotidien, les manies, les enfants, les familles recomposées, je connais, se dit-on, et bravo, c’est formidablement observé et rendu à petites touches bien senties. Et puis soudain, il y a comme une main qui émerge des profondeurs et nous agrippe, ne nous lâche plus. On dirait que tous nos fantômes, tous ces cadavres qui jonchent nos consciences individuelle et collective se rappellent en hurlant à notre souvenir. Quand la main se retire, on jurerait qu’elle est encore là, nouée autour de la gorge. Le pire, c’est qu’on n’a rien vu venir. Et c’est précisément pour cela qu’on est bouleversé.
La narratrice aura beau renvoyer Marta, le lecteur aura beau tenter de remettre ses propres indésirables sous le tapis, rien à faire : ils se sont installés, ils font des bosses. Mais si l’on ne chasse pas les fantômes à coups de balai, les mots, ceux de Kuperman en particulier, en les libérant, aident peut-être à leur donner un contour, à les rendre moins terrifiants. C’est toujours ça de gagné sur l’indicible.
Nathalie Kuperman, J’ai renvoyé Marta, Gallimard, 2006, 157 pages, 11,90 €