Le 29 mars 2024
- Réalisateur : Julie Navarro
- Distributeur : Bac Films
Avec Quelques jours pas plus, Julie Navarro signe un premier film réussi, abordant une thématique sociale complexe, mais avec humour et émotion.
Benjamin Biolay y incarne Arthur Berthier, un critique rock désabusé qui, après être tombé sous le charme de Mathilde (Camille Cottin), la responsable de l’association Solidarité Exilés, accepte d’héberger Daoud, un jeune Afghan, pour quelques jours croit-il. La réalisatrice revient sur la création de ce projet très personnel, en salles le 3 avril 2024.
Quel était votre parcours avant de réaliser ce premier long métrage ?
J’ai longuement travaillé sur les plateaux de tournage, d’abord comme assistante à la mise en scène puis comme directrice de casting car, après des études théâtrales, je savais appréhender la collaboration avec les comédiens. Je nourrissais depuis toujours un besoin de raconter des histoires mais mon envie de me lancer dans la réalisation n’est venue qu’ultérieurement. En l’occurrence lorsque j’ai découvert le livre De l’influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire, écrit par mon compagnon Marc Salbert.
C’est donc le roman de votre conjoint qui est devenu votre film. Ce n’est pas rien…
C’est probablement l’aventure la plus folle à vivre pour un couple. Déjà, beaucoup pensent qu’il est plus facile d’adapter une œuvre existante que de créer une histoire originale. C’est faux. Adapter, c’est trahir. Nous avons donc trahi son livre ensemble, main dans la main. À la lecture, j’étais touchée par le personnage d’Arthur Berthier, ce critique de rock désabusé. Mais je tenais à l’amener vers quelque chose qui me tenait plus à cœur, en l’occurrence le milieu associatif. Tout en respectant l’humour et le côté décalé du roman. J’avais besoin d’y mettre ma patte, notamment en créant de toute pièce le personnage de Mathilde, cette femme engagée dans la protection des migrants et qui va inciter Arthur à s’ouvrir davantage au monde.
Le film mélange habilement les codes du film social à ceux de la comédie romantique. C’était votre intention ?
Je suis très attachée au fil de la rom com. J’aime autant le cinéma social de Ken Loach que les comédies romantiques de Richard Curtis. Et je tenais à mêler ces deux univers, le réalisme et le lyrisme, en utilisant notamment des chansons de Jean-Jacques Goldman.
Il est rare de voir un humour si subtil imprégner une histoire portée sur un sujet aussi grave et complexe que l’accueil des réfugiés…
Dans un film social, le fait d’être trop didactique ou donneur de leçon amène un côté trop plombant qu’il convient de désamorcer en faisant un pas de côté par l’humour. Cela n’empêche pas d’aborder la migration avec gravité, en flirtant avec le drame. Ici, le personnage d’Arthur Berthier n’est pas un militant et devient un héros malgré lui. Je pense que le film parle aussi des familles qu’on s’invente. Tous ces personnages se rencontrent vraiment. Un lien fort et véritable se construit entre eux.
- Camille Cottin, Benjamin Biolay
- © 2024 31 Juin Films / Bac Films. Tous droits réservés.
Comment avez-vous pensé à Benjamin Biolay pour incarner Arthur Berthier ?
Je le connaissais dans son image de chanteur un peu sombre et jouant souvent des hommes toxiques. Mais je tenais à ce que nous tordions cette image et que nous construisions ensemble ce personnage. Benjamin est un grand acteur, qui sait lâcher prise et faire preuve de beaucoup d’autodérision. Cela rend son personnage d’autant plus touchant. De plus, le dispositif de tournage était particulier puisqu’il faisait face à un personnage de réfugié afghan, joué par Amrullah Safi qui n’avait jamais connu d’expérience sur un plateau de cinéma. Mais il m’a fait confiance et s’est complètement abandonné.
Et que pouvez-vous nous dire sur Amrullah Safi et Camille Cottin qui interprète Mathilde ?
J’ai été immédiatement happée par la présence d’Amrullah, son regard, ses yeux. Il démontrait une belle intériorité et avait enduré un parcours similaire à son personnage. À tel point qu’il était très important pour lui de faire ce film. De son côté, Camille est une actrice exceptionnelle que je pensais inaccessible puisqu’elle a récemment tourné pour Kenneth Branagh ou Ridley Scott mais sa sœur, très engagée, l’a incitée à accepter de nous rejoindre. Bien que le tournage ait été plusieurs fois repoussé, faute de financement et en raison de la Covid, elle n’a jamais renoncé à ce projet. Elle porte l’engagement total de son personnage et, en même temps, sa fatigue avec une extrême justesse.
Votre film aborde évidemment la question de l’engagement, où certains personnages reprochent aux autres de ne jamais en faire assez. Ce qui peut amener à penser que tant que l’on ne donne pas tout, on ne donne rien. Qu’avez-vous à dire par rapport à cela ?
Qu’il faut que chacun se déculpabilise. C’est pour cela que je tenais à ce que le personnage de Mathilde éprouve une certaine fatigue en raison de son engagement militant. La crise migratoire semble sans fin. Il est donc nécessaire que ceux et celles qui s’engagent passent le relais à d’autres. Chacun fait ce qu’il peut. Les militants que j’ai pu rencontrer s’engagent environ dix mois. Une jeune militante m’a dit un jour qu’elle avait la sensation de soigner une hémorragie avec un pansement. Résultat : elle s’est retrouvée en burn out à vingt-deux ans. Elle se sentait trop en décalage par rapport à ses amis qui partageaient des soirées Netflix. Désormais, elle a compris l’importance de préserver son équilibre de vie. Pour autant, je tenais à montrer combien il y a des liens forts qui se créent dans les associations, malgré la fatigue accumulée et les engueulades qu’elle peut engendrer. On y croise des individus très différents qui ne se seraient jamais rencontrés dans un autre contexte. C’est un endroit rare.
Et souhaitiez-vous entrer en résonance avec les débats autour de la loi immigration ?
Si on ne peut éviter d’être confronté à l’actualité, je voulais surtout réaliser un film centré sur l’humain, où un homme sort de sa bulle. Je m’inscris surtout dans la rencontre de cet homme avec un Afghan et un collectif associatif. On peut parler de la loi immigration mais ce n’est pas mon propos. Ce ne sont pas mes convictions politiques qui priment ici, mais cet homme qui laisse entrer peu à peu la lumière dans sa vie. Sans oublier la mise en avant du collectif et de ceux qui prennent le temps d’aider les autres.
Propos recueillis par Nicolas Colle
Galerie photos
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