Le 7 juin 2025
Le second long métrage de Bo Widerberg adopte une veine davantage néoréaliste, tout en faisant songer davantage au Free Cinema qu’à la Nouvelle Vague française. Un grand film à redécouvrir.


- Réalisateur : Bo Widerberg
- Acteurs : Thommy Berggren, Ingvar Hirdwall, Keve Hjelm, Emy Storm
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Suédois
- Distributeur : Malavida Films
- Durée : 1h41mn
- Reprise: 11 juin 2025
- Titre original : Kvarteret Korpen
- Date de sortie : 18 octobre 1973
- Festival : Festival de Cannes 1964

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– Année de production : 1963
– Reprise en version restaurée : 11 juin 2025
Résumé : 1936, en Suède, dans un quartier ouvrier à Malmö. Anders a dix-huit ans. Il vit avec un père alcoolique qui a renoncé à toute ambition et une mère courageuse qui cache son chagrin dans le travail. Le jeune homme, pour échapper à ce milieu défavorisé et dénoncer l’injustice sociale, rêve de devenir écrivain. Il est prêt pour cela à bien des sacrifices…
Critique : Pour son second long métrage, Bo Widerberg aborde une veine davantage autobiographique. Anders, le personnage principal, est quelque l’alter ego du cinéaste. Comme lui, Widerberg a grandi dans un quartier pauvre de Malmö, cité ouvrière, et a tenté d’y échapper en se réfugiant dans l’écriture, afin de devenir écrivain. L’action est pourtant située en 1936, alors que le cinéaste n’avait eu l’âge du protagoniste qu’en 1948. On peut y voir une ébauche de la future préoccupation historique du réalisateur, même si les événements de cette année (l’échec de l’infiltration du nazisme en Suède, les Jeux Olympiques de Berlin) ne semblent constituer qu’une toile de fond. Anders, dix-huit ans, établit une réelle complicité avec ses parents, mais la situation familiale est très précaire. La mère fait des ménages dans le quartier quand le père, alcoolique invétéré, consacre ses journées à des paris sportifs, lorsqu’il ne s’use pas davantage à distribuer des tracts publicitaires où à jouer les hommes-sandwichs. Aussi, quand une maison d’édition de Stockholm invite Anders à un entretien, ce dernier espère que ses vœux seront réalisés il se voit déjà en haut de l’affiche…
- © Malavida
Si Le péché suédois axait son récit sur une jeune fille cherchant l’émancipation, Le quartier du corbeau se penche sur des aspirations masculines, mais on trouvera des échos avec le premier long métrage. Anders est un peu la synthèse de Björn et Robban, les deux jeunes hommes du film précédent. Il n’est pas présenté comme plus sympathique et bienveillant mais la narration fait comprendre ses motivations : sa franchise avec ses parents a pour objectif de montrer ses ambitions, et l’abandon de la jeune fiancée enceinte n’est pas considéré comme une lâcheté mais une attitude visant à fuir le déterminisme et s’assumer pleinement, ce que cherchait également Britt, la mère célibataire du Péché suédois. Sur le plan stylistique, Le quartier du corbeau rompt avec les influences explicites à la Nouvelle vague française (les côtés À bout de souffle ou truffaldien du Péché) pour rendre davantage hommage au néoréalisme italien (les déambulations d’Anders dans la cité délabrée). On sent aussi davantage des correspondances avec le Free Cinema anglais (Richardson, Reisz) quant à la critique sociale et la description d’un certain prolétariat ; et comme ses pairs britanniques Widerberg ne craint pas la perfection technique, tout en apportant une touche impressionniste personnelle (superbe noir et blanc de Jan Lindeström).
- © Malavida
En même temps, Bo Widerberg ne semble pas renier ici l’influence de Bergman (dont la stature a quelque peu occulté les autres grands cinéastes suédois) : nulle quête métaphysique ou spirituelle dans Le quartier du corbeau mais pourtant une théâtralité filmique et des règlements de comptes familiaux qui pourront faire songer à Sonate d’automne. Mais les préoccupations de Widerberg restent davantage sociopolitiques, comme cela sera nettement le cas avec Ådalen ’31 ou Joe Hill. Le film doit beaucoup à ses deux acteurs. Widerberg dirige pour la seconde fois Thommy Berggren qui incarne magnifiquement un jeune adulte marqué à la fois par la fragilité et la détermination. Comédien de théâtre chevronné, Keve Hjelm résiste aux sirènes du cabotinage dans le rôle du père, même si, dit-on, il aurait abusé lui-même de certains verres d’alcool pendant le tournage, pour mieux s’identifier au personnage… Le quartier du corbeau fut sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 1964, avant d’être nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Il ne sera distribué en France qu’en 1973. Le long métrage fait partie la rétrospective Bo Widerberg proposée par Malavida le 11 juin 2025. C’est l’occasion de (re)découvrir cette belle œuvre méconnue, comme tout un pan de la filmographie de son réalisateur.
- © Malavida