Le 25 mars 2004
En quatre livres essentiels, Hubert Selby Jr a dressé le portrait d’une Amérique à la dérive.
En quatre livres essentiels, Hubert Selby Jr a dressé le portrait d’une Amérique à la dérive. Sous une plume brutale et déchiquetée, il dénonce une société à l’agonie, des romans indispensables dont, comme l’a souligné le New York Times, la compréhension "revient à comprendre l’angoisse américaine".
Nul besoin d’être fin psychanalyste pour comprendre pourquoi Hubert Selby Jr vomit littéralement sur l’Amérique. Son œuvre, et plus particulièrement ses quatre premiers romans - Le saule marquant une rupture -, porte les stigmates d’une vie que l’American way of life a superbement ignorée. Le rêve américain n’est pas passé par Selby et il dénonce sans concession les travers d’un pays qui laisse sur le bas-côté de la route ceux qui voient le succès se détourner d’eux. Démoli par une critique qui juge ses ouvrages trop noirs, il sombre dans la misère malgré un succès retentissant en 1963 et survit grâce à une pension militaire.
Dès Last exit to Brooklyn, les bases sont posées : la folie, la violence, la peur nécrosent l’univers de l’écrivain. Dans un monde apocalyptique se croisent des désespérés dont toute part d’humanité s’est désagrégée : ici, les rues sont sans issue, la dépravation et la bestialité ont envahi les quartiers. La loi, les repères sociaux, la culture... ont disparu au profit de la cruauté, de l’égoïsme et de l’irresponsabilité. Sans nous laisser un seul moment pour souffler, l’écriture spasmodique de Selby est dense et oppressante, douloureusement extirpée de l’enfer pour mieux y retourner.
Mais le pire est à venir. Si ce recueil de nouvelles est un monstrueux état des lieux d’une Amérique décadente et obscène, ses trois romans suivants s’enfoncent davantage dans la noirceur et le désespoir de l’âme humaine. Pour Selby, point de salut ni de solution : l’homme est voué à une inéluctable autodestruction puisque c’est la société qui engendre ses propres démons, comme le Harry de La geôle qui a tout le loisir d’échafauder les pires actes de barbarie du fond de sa cellule. Avec rage, il crache sur un pays qui tue dans l’œuf les rêves de chacun : à l’individu de trouver sa voie parmi un système capitaliste qui désigne la réussite professionnelle comme condition sine qua non au bonheur (c’est le Harry White que l’on trouve dans Le démon, déchiré par ses cauchemars intimes alors qu’il présente tous les "symptômes" du bonheur).
Logique donc que Hubert Selby Jr ait dérangé à ce point l’élite bien-pensante américaine : sa plume implacable oblige chacun à se regarder droit dans les yeux pour n’y voir qu’une pathétique réalité pleine de saleté et dépourvue d’amour. Et pourtant l’écrivain a changé : son dernier roman, Le saule semble plus apaisé et envisage pour la première fois, le pardon. Moishe, un Allemand rescapé des camps, qui a tout perdu, refuse la haine comme moteur de vie et se fait le porte-parole d’un auteur aujourd’hui plus clément envers ses contemporains, lorsque le vieux juif assène que "l’on peut survivre à sa douleur, mais pas à sa haine". Un message porteur d’espoir pour celui qui a longtemps fermé toute porte de secours.
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