Le 25 mars 2004
Naissance de Harry, le plus noir des héros américains.
Avec Last exit to Brooklyn, apparaît le premier des Harry qui hantent l’œuvre de Hubert Selby Jr. A l’image des héros des cinq autres nouvelles de ce recueil, le personnage est aussi noir que désespérant.
C’est dans Last exit to Brooklyn qu’apparaît le premier des quatre Harry d’Hubert Selby Jr. Celui-là est un plutôt un Harry de bonne facture. (Chez Selby Jr, entendre par Harry personnage particulièrement primitif, le plus souvent violeur, vicieux, drogué, et dans le meilleur des cas, assassin compulsif.)
Cet Harry-là, branleur corrompu, ne supporte plus sa femme, "cette salope qui a encore le cul en chaleur" et qui refuse de s’endormir et de lui foutre la paix, alors il vomit dès qu’elle le touche, la nuit. De la même manière, il étouffe dès qu’il a la trique, avec une drôle de boule dans la gorge. La journée, il part pour travailler et essayer d’organiser des grèves. Parce qu’à part se bourrer la gueule, il arrive à Harry d’être ouvrier syndicaliste. C’est-à-dire que quand il ne lèche pas le cul des pontes du syndicat, qu’il ne se tape pas un travelo à l’occasion d’une grève, il pisse dans son bureau et rédige des tracts. Pour résumer le personnage, mieux vaut se référer à ses propres propos : "Voilà c’qu’il me fallait. Pisser un bon coup, haha. Rien ne vaut pisser un bon coup." Tout simplement terrifiant.
Les cinq autres nouvelles de ce recueil racontent le même désespoir. Il y a un jeune marin tabassé à mort par des voyous pas très précautionneux. On les retrouve dans le texte suivant, ces voyous si sympas, dans une partie de jambe en l’air avec des travelos défoncés au PCP. Il y a Tralala, une fille de la rue parfaitement bien poitrinée qui rêve de richesse et qui utilise ses atouts pour détrousser des marins de passage avec la complicité de ses amis. Elle finira violée et immolée. Et c’est un peu là la morale de toutes les histoires de Selby Jr : tous les rêves finissent au hachoir. La magie n’existe pas. Il n’y a rien chez Selby qui puisse sauver ses congénères, les personnages qui peuplent ses villes, car tout n’est qu’asphalte, sont désespérants, sinistrement débiles.
Et l’écriture est si déchiquetée, si atrocement réelle, sans métaphore, sans issue, qu’elle parvient à nous détruire secrètement, durablement. Ce chef-d’œuvre s’est vendu à deux millions d’exemplaires. Deux millions d’âmes gangrenées par le noir.
Hubert Selby Jr, Last exit to Brooklyn (traduit de l’américain par J. Colza), 10/18, coll. "Domaine étranger", 2004, 303 pages, 6,90 €
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