Douce agonie
Le 5 avril 2005
Un roman-puzzle à forte densité mélancolique que n’aurait pas renié la Nancy Huston de Dolce agonia.


- Auteur : Julie Wolkenstein
- Editeur : Editions P.O.L
- Genre : Roman & fiction

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Eliane est revenue sur la falaise où se retrouvaient autrefois plusieurs familles, été après été. Pour montrer une telle fidélité, il fallait aimer l’humidité poisseuse imprégnant tout, les sempiternels récits de régate sans lesquels les apéritifs n’auraient pas eu la même saveur, le fracas des vagues et jusqu’à leur menace alors encore lointaine : un entêtement des eaux à l’emporter sur la terre ferme. Tout cela rapprochait cette poignée de vacanciers au-delà et parfois en dépit de leurs personnalités contrastées.
C’est pour assister à la dernière et irrévocable vague qu’Eliane a réinvesti contre l’avis de tous ce lieu où se sont joués petits bonheurs de vacances et grandes tragédies, amours et déchirements, élans et usures. C’est aussi pour attendre sa mort annoncée.
Avant de s’éteindre, d’être engloutie, elle entreprend de raconter - d’inventer ? - la vie des résidents de la plage aujourd’hui tous disparus. Par petites touches, Julie Wolkenstein compose ainsi à travers son personnage-scribe un tableau précis, sensible de ce petit théâtre humain profondément marqué par l’eau, l’instable, le mouvant. Les liesses sont souvent tranchées net, les affections abîmées ; tout se perd, s’enlise, s’échappe. Les discours, les désaccords sombrent dans le silence de l’oubli, seront recouverts par les bruits d’autres vies. Et le temps passe ainsi, aveugle, forcément cruel.
Dérisoires et précieuses, les vies des résidents sont ici dépeintes dans leurs instants de basculement, dans ces moments apparemment anodins qui décident des destins. L’auteur, en portraitiste mi-amusée mi-désespérée, saisit cet indicible, cet "au bord de la fin" de ceux qu’on a vus vivre. Autant de gestes, paroles, décisions qui, lorsqu’on y songe après coup, instaurent au fond du cœur une peur diffuse en même temps que l’appétit d’être soi.
Alors faut-il se battre ? Faut-il aimer et s’amuser ? Faut-il vivre si tout se retire comme une marée ? Oui, semble dire l’auteur de ce roman murmuré. Serait-ce pour le goût des crevettes grises un soir d’été, pour le vin blanc frais et léger, pour le vent salé sur la peau encore chaude après une journée de plage.
Julie Wolkenstein, Happy end, P.O.L, 2005, 197 pages, 16 €