Le 31 mai 2020
- Acteur : Guy Bedos
- Voir le dossier : Nécrologie
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Insolent et drôle, politiquement engagé, l’humoriste avait aussi annexé le territoire d’un humour anxieux, comme son grand copain Pierre Desproges. Il est mort le jeudi 28 mai, à l’âge de 85 ans.
News : Le soleil algérien n’aura pas dardé sur l’enfance du futur humoriste les mêmes rayons apaisants que sur la chair d’Albert Camus : entre un beau-père raciste et antisémite et une mère attachée à la figure du maréchal Pétain, le petit Guy n’emporte de ses premières années sur Terre qu’une amertume, compagne d’une vie entière dont le récit autobiographique Je me souviendrai de tout - Journal d’un mélancolique (2015) sera le témoignage, celui d’un éternel intranquille, qui aura élu l’humour noir comme une manière d’exorcisme. Ce réflexe zygomatique, chevillé au célèbre adage de Beaumarchais ("Je me presse de rire, etc."), s’est prolongé dans un engagement sans failles contre les injustices sociales : de son compagnonnage avec SOS Racisme à sa défense des sans-papiers, en passant par son combat en faveur du droit au logement, Bedos aura été de tous les luttes saillantes d’une gauche en colère, ne cachant pas ses convictions politiques, ce qui ne l’empêchera d’égratigner les personnalités représentatives de son propre "camp", ce qui provoquera aussi les assauts de ses adversaires les plus virulents, y compris dans la sphère artistique, qui s’en prendront à son capital social et économique, se saisiront d’une condamnation au conseil des prud’hommes de Tours pour licenciement abusif comme de l’aporie symbolique, selon eux, d’une "gauche caviar" trahie par les faits. On se souvient à ce titre, quelques mois avant qu’il ne décède, d’une diatribe de l’écrivain Jean-Edern Hallier contre l’humoriste.
Un humoriste cinglant
Bref, en dehors de toutes ces polémiques, c’est un humoriste inconfortable qui vient de mourir, résumé par le titre d’un de ses livres, "inconsolable et gai", citant volontiers une expression qui ne fut jamais, dans ses mots et dans ses actes, une simple formule grandiloquente : "l’humour est la politesse du désespoir". De 1965 à 2013, Bedos aura été un artiste virulent, un des premiers à privilégier le stand-up et le commentaire d’actualité (ses fameuses revues de presse avec fiches cartonnées), quand les comiques de sa génération évitaient comme la peste tout ingérence dans la politique (exemplairement Fernand Raynaud). Avec Jean Yanne et Pierre Doris, il fut le seul, à son époque, c’est-à-dire au moment de son avènement sur scène, au mitan des années 60, à oser des incursions dans l’humour acide et clivant. Son duo avec Sophie Daumier fut certes populaire, mais on se souvient que les deux avaient bien l’intention d’en découdre avec une certaine France du post-colonialisme qui ne se privait pas de faire du tourisme avec le racisme en bandoulière : ce sera le célèbre sketch "Les vacances à Marrakech" (1975).
Coluche et Bedos
Au même moment, Coluche imposait la figure du beauf des quartiers populaires, cousin du gueulard plus "classe moyenne" de Bedos, à travers sa terrible concaténation "normal... blanc". Les deux humoristes se croiseront bien sûr à plusieurs reprises : au cinéma d’abord, dans Le Pistonné, le film de Claude Berri (1969) - le jeune Colucci y tient un petit rôle - puis au cours des années 70, qui correspondent à l’avènement du comique à salopette ; enfin dans ces années 80, symbole d’une décennie de l’antiracisme, à partir de la Marche des beurs jusqu’à la création de la petite main jaune chère à Harlem Désir et ses camarades. On se rappelle Bedos et Coluche, sur scène, pour le premier grand concert de l’association, le 15 juin 1985. Ils y animaient la soirée avec Michel Boujenah. La relation entre les deux artistes n’ira jamais au-delà du compagnonnage aimable, Bedos ne cachant pas, à plusieurs reprises, ses réticences vis-à-vis de celui qui avait aussi cherché et obtenu une popularité plus évidente : s’il partageait les mêmes convictions politiques que son alter ego, il exprima notamment une vraie circonspection lorsque que l’auteur du Schmilblick entreprit de se présenter à l’élection présidentielle de 1981. Mais lorsque le fondateur des Restos du cœur se tua accidentellement le 19 juin 1986, il vint spontanément lui rendre hommage au journal télévisé de Claude Sérillon, crachant sa haine des deux-roues.
Coluche et Desproges
Avec Pierre Desproges, l’amitié fut beaucoup plus évidente : l’humoriste découvrit l’éloquence du procureur des Flagrants Délits, repéra le talent du verbe et une forme de communauté d’esprit (faire du drôle avec du triste). Il le prit sous son aile et le poussa à monter sur scène. Desproges investira le théâtre Fontaine en 1984, ne cessant par la suite de remercier son copain ou de le taquiner gentiment, jusqu’à cette fausse nécrologie de 1986, qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux, depuis quelques jours. L’inventeur de monsieur Cyclopède y fait l’oraison de son ami mort, sous l’œil goguenard de Jean-Loup Dabadie, autre récent disparu.
Avec les jeunes de la nouvelle génération du rire, comme on dit sur une radio notoire, Bedos conclut aussi des partenariats mémorables, scellant, bien qu’il fût athée, l’alliance des monothéismes réconciliés (Smaïn, Boujenah et lui, dans un Coup de soleil à l’Olympia, en 1991) ou cherchant peut-être à reconstituer les grandes heures de la mixité comique, en compagnie de Sophie Daumier : ce sera le duo de choc avec l’étoile montante du rire, Muriel Robin, en 1992. Les deux artistes triompheront dans la salle du plus grand music-hall d’Europe.
Contempteur de la France selon Guy Lux
Bien des années auparavant, il lui aura fallu subir ce qu’on appelait "la France de Guy Lux", une expression consacrée dans le septennat giscardien qui permit à Bedos, lors d’un échange aigre-doux avec le célèbre animateur de cette décennie Carpentier, d’asséner quelques opinions bien senties : le consensus des divertissements du samedi soir, très peu pour lui. D’ailleurs, on le vit moins durant cette période où il était, selon ses propres mots, "blacklisté", avec quelques phrases allusives qui ont résonné jusqu’à Chamalières. Même s’il y eut, à cette époque-là, des classiques immédiats comme "La Drague", où l’humoriste cultivait son image de séducteur flirtant avec la goujaterie la plus triviale. Ce Bedos-là dérangeait moins, comme le personnage de Simon Messina, qui fut son rôle le plus populaire au cinéma et consacra une autre bande de quadras, certes plus drôles que les héros de Sautet, dans le diptyque d’Yves robert (Un éléphant ça trompe énormément en 1976, Nous irons tous au paradis, en 1977), dialogué par son pote Jean-Loup Dabadie. A quatre jours d’intervalle, le binôme de "Bonne fête Paulette" a pris la tangente. Les deux hommes auront entretenu une amitié que documentait, il y a quelques jours encore, un texte de Nicolas Bedos, héritier putatif d’une verve grinçante.
Cinéma, théâtre et one-man-show
Bedos et le cinéma, ce ne fut pas des noces d’or, parce que l’humoriste n’y trouva jamais l’emploi qui le fit passer dans la catégorie des grands acteurs. Question d’opportunité, peut-être, de motivation, sûrement, d’envergure dramatique aussi (dans le premier rôle du Pistonné de Claude Berri, sorti en 1969, l’artiste s’avère un comédien plutôt terne). En dehors des deux comédies d’Yves Robert, on serait bien en peine de dégager un long métrage vraiment mémorable où officia l’acteur : même Dragées au poivre de Jacques Baratier, divertissement hype du début des années 60, qui passait à la moulinette les modes naissantes, des sciences humaines au yéyé, est aujourd’hui un film bien oublié. Bedos se consacra avec plus d’aisance aux planches dont il venait, ayant fréquenté le cours Simon dans les années 50, donnant aussi, pendant quelques années, des cours aux apprentis comédiens du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Il prolongea sur les planches quelques-unes de ses inquiétudes contemporaines, notamment liées à la résurgence des mouvements néo-fascistes, de la montée du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie : sa mémorable prestation dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui, la virulente charge de Bertolt Brecht, mise en scène par Jérôme Savary, fut un succès populaire et critique. Ces dernières années, après ses adieux au one-man-show en 2013, Guy Bedos s’était quelque peu mis en retrait. En dehors d’une ultime pièce écrite par Samuel Benchetrit, il s’était consacré à la rédaction d’A l’heure où noircit la campagne (2017), une revue de presse supplémentaire, son exercice favori. Désabusé, il tirait le bilan de cinq années de présidence socialiste, sa famille politique.
Observateur de la vieillesse qu’il présentait volontiers comme "une maladie", l’artiste était aussi un soutien de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et s’était de nombreuses fois prononcé en faveur de l’euthanasie.
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