Malheur du monde, beauté des silences
Le 22 juillet 2004
Quête de l’amour dans un film superbe, d’une tristesse viscérale et d’une beauté poignante.


- Réalisateur : Tsai Ming-liang
- Acteur : Lee Kang-sheng
- Genre : Comédie dramatique, LGBTQIA+
- Nationalité : Français, Taïwanais

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– Durée : 1h20mn
– Titre original : Bu san
Quête de l’amour dans un film superbe, d’une tristesse viscérale et d’une beauté poignante.
L’argument : C’est la dernière séance avant qu’un cinéma ferme ses portes. Dans la salle, des fantômes qui vagabondent : un jeune Japonais entré ici pour se protéger de la pluie, une ouvreuse infirme, un projectionniste absent... Tous errent et se cherchent. Nous sommes chez Tsai Ming-liang.
Notre avis : Les spectateurs qui ne connaissent pas l’univers si particulier et si personnel de Tsai Ming-liang vont trouver ce film passablement rasoir et agressivement abscons : pourquoi ces plans vides ? Pourquoi cette absence de dialogues ? Pourquoi ces recoins glauques ? Pourquoi ces personnages anonymes qu’on suit pour mieux perdre ? Réponse : parce que ce cinéaste taïwanais est, en sus d’un admirable metteur en scène (pro du plan-séquence et du cadrage), un sculpteur d’âmes qui ressasse depuis ses débuts une thématique sombre, triste sur les rapports humains et la quête de l’amour dans un monde déshumanisé. Un romantique désespéré qui sous les nuages menaçants laisse scintiller une lueur d’espoir.
Dans Vive l’amour, le réalisateur ciselait un vaudeville déprimant sur des personnages qui avaient la malchance d’aimer la personne qui ne les aimait pas ; dans The hole, il faisait swinguer un immeuble en pleine inondation en incrustant dans un monde moderne, sordide, des parenthèses de comédies musicales rigolotes ; dans Et là-bas quelle heure est-il ? (son plus beau film, d’une tristesse inconsolable), il montrait des personnages confrontés au deuil qui trituraient les aiguilles des montres, partaient au bout du monde, baisaient avec n’importe qui pour mieux fuir l’horreur du quotidien... En tout état de cause, son dernier Goodbye, Dragon Inn est un événement, grand petit film-somme qui recycle les obsessions du cinéaste en les poussant à l’abstraction, avec un refus de schématiser ou d’expliquer. Une sorte de néant...
Oui, mais un néant qui fait écho au vide existentiel de personnages (quidams attachants) fâchés avec le monde, leurs fantasmes et les lois du désir. Tous attendent secrètement l’amour mais n’osent pas en parler, ni même l’espérer ; ils sont tous en proie à la même misère affective et sexuelle. Émaillée de passages surréalistes et absurdement drôles (la fille mutique et intrigante qui ingurgite des tonnes de pistaches, les maladroites tentatives dragueuses d’un ado qui se cherche sexuellement...), l’idée qui consiste à montrer des gens en train de regarder un film est une mise en abyme stimulante, amusante, originale. Contrepoint salvateur, subtil et désinvolte à cette radiographie poignante dont les plans fixes et stylisés traduisent la solitude nue et la tristesse viscérale de personnages paumés dans un cinéma immense et désertique, parabole sur le manque de communication dans nos sociétés anonymes. Une œuvre d’une infinie beauté.