Revendiquer de manière si explicite l’influence de James Ellroy quand on publie un thriller est à double tranchant. D’abord, parce qu’il semble difficilement imaginable d’égaler le maître contemporain du polar américain. Ensuite, parce que le risque de sombrer dans le mauvais plagiat est tentant et peut mener à la catastrophe. Alors saluons Jean-Hugues Oppel pour avoir su éviter les pièges qu’il s’était lui-même tendus. Il y a pourtant quelque chose d’Ellroy dans ce texte, aucun doute là-dessus. Oppel a su garder le climat et l’esprit propres à l’auteur du Dalhia noir tout en rédigeant un roman extrêmement personnel, accrocheur, d’une justesse et d’une qualité absolues.

Oppel reprend la manière qu’a Ellroy de dévoiler l’envers des cartes du pouvoir en imaginant (mais en est-on si sûr ?) le compte à rebours des douze derniers mois précédant l’élection présidentielle de 2002. Un scrutin qui pourrait bien coûter au "Champion", le président en exercice, un échec face au "Challenger", alors premier ministre. Pour éviter cette défaite et des ennuis judiciaires, il existe une solution. Manipuler les médias et l’opinion publique afin d’instaurer un climat de terreur. Faire en sorte que le pays tout entier vive dans la peur, s’arranger pour que l’insécurité devienne le sujet à la mode et que chaque citoyen se sente vulnérable. Une grossière manipulation qui permettra au "Tribun" de se retrouver au second tour de cette élection, face au "Champion" qui remportera alors le scrutin haut la main.

Dès que la machine se met en place, il n’existe plus de place pour l’improvisation. Une agence de com’ est montée pour abreuver les médias de flash alarmants, un tireur amateur est recruté pour effectuer un carnage lors d’un conseil municipal, un flic sans états d’âme est chargé de superviser cette opération infaillible. Et le compte à rebours s’enclenche, inexorablement.

Politique fiction ? Pas si sûr. Car le talent d’Oppel rend cette opération crédible du début à la fin. D’un style mécanique, très distancié et froid, il s’invite dans les coulisses d’un pouvoir extrêmement puissant pour démontrer que la manipulation n’est finalement qu’une sordide affaire de moyens et de volonté. Construit sous forme de séquences racontant les itinéraires de chacun de ses personnages, le roman fait monter la tension en permanence. Il glisse également bon nombre de titres racoleurs dont ont abusé les journaux, s’appuie sur des faits divers véridiques. On se passionne pour ce récit et pour le sujet, même si l’on en connaît malheureusement la fin. Et, dans la lignée des ouvrages éclairant une sordide théorie du complot, Oppel fait mouche. Info ou intox ?...