Philippe Delepierre aime la peinture sociale. D’abord avec le polar, genre dont la toile de fond est souvent la rue et les quartiers populaires. Avec Fred Hamster et Madame Lilas, il s’agit toujours d’étude de mœurs, mais Delepierre déplace cette fois-ci son intrigue dans la France des années 60. Le décor : une petite ville de campagne dans le Nord, rongée par les préjugés et vivant au rythme des échos sanglants venus d’Algérie.

1962. Fred est un petit garçon solitaire. Son drame ? Il est fils de boucher, dans une famille bien "française" de l’époque. Lui qui a horreur du sang et des abattoirs, lui qui ne supporte pas qu’on fasse du mal aux animaux. Lui surtout qui exècre le traitement infligé à Madame Lilas. Mais pour tout le village, la belle jeune femme de vingt-huit ans n’est que Leïla l’étrangère. Une Algérienne arrivée en France avant que n’éclate la guerre, puis abandonnée à la vindicte populaire par un mari devenu alcoolique.

Philippe Delepierre refuse tout a priori : entre cruauté et tendresse, c’est l’humanité des personnages qui l’intéresse. L’humanité dans ce qu’elle a de plus paradoxal. À l’image de la guerre d’Algérie, les personnages ont leurs contradictions et leurs incohérences. Même Leïla et Fred. Pas de concession et encore moins de nostalgie. Juste un constat : la guerre. La grande histoire et les petites se télescopent. Le conflit a la complexité de la nature humaine, est sanglant comme les abattoirs et la boucherie du père de Fred, la haine de l’autre est omniprésente et rejaillit sur Leïla... Plus qu’un gentil roman sur la douce France, Fred Hamster et Madame Lilas prend l’allure d’un pamphlet acide contre la société française et son hypocrisie pendant ces années de guerre. Ce livre qui n’hésite pas à dévoiler une certaine face cachée (et peu ragoûtante) de la France, a reçu le Grand Prix RTL/Lire décerné lors du dernier salon du Livre.