Ce roman, lu très jeune au hasard de la bibliothèque parentale, fait partie des rares et donc infiniment précieux dont on se dit qu’ils expriment au mot près des sentiments jusqu’alors confus, troublants. C’est alors un véritable choc, à la fois un soulagement et une tempête intérieure, parce qu’on réalise que ce que l’on a ressenti avec un mélange de peur et de honte est partagé et compris. Soudain, on n’est plus seul.

Seule, c’est ce que ne veut plus être Frankie Addams, grande bringue de douze ans aux véhémences d’adolescente, que ce soit dans ses enthousiasmes ou dans ses révoltes.
Tout se passe dans la journée qui précède le mariage du frère aîné de Frankie. Et pour l’essentiel, entre les murs couverts de dessins d’enfant d’une cuisine, dans une maison qu’on imagine vaste et délabrée, d’une petite ville du Sud des Etats-Unis. L’atmosphère est poisseuse, lourde et lente comme chez Tennessee Williams, les paroles tantôt précipitées et généreuses, tantôt économes et terriblement justes.

Parce que Frankie, cet été-là, est engluée dans un entre-deux aux allures de néant, elle qui n’est plus une enfant mais pas encore une femme, elle dont le corps trop vite grandi la taraude sans qu’elle sache de quel ordre est ce besoin-là, elle va se mettre en tête d’"appartenir" au mariage de son frère aîné, qui a lieu le lendemain. Le titre original, The member of the wedding, résume bien cette idée folle, enfantine et en même temps tellement chargée d’angoisse. Ce que désire Frankie, c’est trouver sa place dans ce monde où tout semble désormais lui échapper, le temps comme les gens et leurs histoires. Elle sera donc membre du mariage, elle formera un nous avec son frère et sa belle-sœur. Toute la tension dramatique du roman naît de cette aspiration forcément vouée à la désillusion.

Carson McCullers, disparue en n’ayant eu le temps d’écrire que quatre romans et des nouvelles, tous d’une justesse étincelante, savait mieux que personne saisir l’effroi ordinaire, l’étrange creusant comme une entaille dans le réel et dans le cœur du lecteur. Elle était l’écrivain de la solitude et des douleurs aussi intimes qu’universelles. Et Frankie Addams, dans ce registre, touche à la perfection au point d’en devenir un roman initiatique. Parce que chacune de ses phrases vient éclairer nos ombres familières.