Le 1er février 2012
- Réalisateur : Tony Kaye
Entretien avec Tony Kaye, cinéaste engagé et réalisateur de Detachment, notre coup de coeur de ce début du mois de février 2012 !
Entretien avec Tony Kaye, cinéaste engagé et réalisateur de Detachment.
aVoir-aLire :Vos réalisations témoignent toujours d’un penchant pour la matière sociale et les enjeux moraux. Detachment s’intéresse plus particulièrement à l’éducation et à la responsabilité individuelle. Le fait d’être vous-même parent rend-il ce sujet plus personnel ?
Tony Kaye : L’éducation est un thème extrêmement délicat, bien plus par exemple que le racisme que j’ai traité dans American History X. Il est évident que mes enfants sont une source intarissable d’inspiration, et c’est en cela que je leur dois d’être transparent sur mes objectifs. Le pouvoir du cinéma et des médias en général est bien trop souvent sous-estimé. Je crois pourtant que c’est le moyen le plus sur pour faire passer un message intelligible. Detachment essaie d’apporter un regard neuf sur un sujet vieux comme le monde, et pourtant intemporel. J’aime à croire qu’il peut toucher aussi bien des enfants, que leurs parents, et dans le meilleur des cas, les faire réfléchir.
La véritable ironie de tout cela est que je n’ai moi-même pas été un père exemplaire. Je n’ai jamais été un bourreau, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Mes enfants ont toujours eu un toit au dessus de leur tête, à manger dans leurs assiettes, la possibilité d’aller à l’école et d’envisager l’avenir comme ils l’entendaient... Mais je ne leur ai pas accordé assez de temps. J’ai été égoïste. C’est très paradoxal.
Peut-on voir dans cette réflexion le spectre du programme bushien « No Child Left Behind » ?
Ce plan d’action est une véritable aberration. Ne serait-ce qu’envisager la nécessité de mettre en place une stratégie pour ne pas laisser des enfants à la traîne, à quelque niveau que ce soit, est une absurdité. C’est une incohérence douloureuse des mentalités. Il devrait être évident que l’éducation se doit être la même pour tous. Ca n’est pas le cas. L’existence même de ce programme est un amer constat.
Votre cinéma a-t-il une portée contestataire ?
Certains cinéastes que je respecte énormément, comme Michael Moore, sont instigateurs d’un cinéma anticonformiste. Ses films sont extrêmement importants ; ils sont perturbateurs. En alliant passion et curiosité, ils ont une valeur pédagogique en plus d’une intention politique. Michael Moore cherche à informer et à dénoncer simultanément, et c’est quelque chose que j’ai toujours admiré.
Je me considère beaucoup plus mesuré. Certaines personnes ne sont pas à même de comprendre le message que je veux faire passer. Il s’agit de leur montrer de nouvelles perspectives, de leur donner envie de faire preuve d’ouverture d’esprit. Mes oeuvres s’emploient à construire un pont de la pensée. Tout cela afin de leur permettre d’aller d’une conception à une autre. Il m’est cependant arrivé d’être beaucoup plus tranchant, c’est le cas dans Lake of Fire, qui est un documentaire qui se targue de dénoncer les dérives engendrées par le débat sur l’avortement.
Votre formation artistique est-elle à l’origine de cette conception du cinéma, voire de l’art en général ?
Je n’ai rien d’un universitaire. Mes études d’art m’ont permis de matérialiser ce besoin de création qui m’a toujours été propre, que ce soit a travers le cinéma ou la musique. Je suis à la fois obsédé par la recherche d’un certain esthétisme et envouté par le processus de narration. Il n’est rien que j’aime plus que de raconter des histoires, mes films en sont les premiers témoins. Ces oeuvres sont le reflet de ma quête d’une grande vérité, s’il est une telle chose.
Peut-on parler d’unité esthétique en ce qui concerne votre style de cinéaste ?
Ai-je seulement un style ? Disons que mon passé de publicitaire et de documentariste influence probablement mes réalisations. Travailler dans le milieu de la publicité a été une expérience fabuleuse. J’y ai appris à les balbutiements du travail de réalisateur.
Detachment a une certaine aura que l’on peut peut-être qualifier d’esthétique. Mais une multitude de choix visuels résultent du faible budget alloué à la production. Lors du visionnage, l’on peut croire que les tournures graphiques employées sont voulues. C’est le but. Mais pour vous dire toute la vérité, c’est surtout dû au peu de moyens financiers à disposition.
La dernière scène de Detachment est des plus allégoriques. Comment expliquer le choix de cette séquence métaphorique ?
Detachment n’a réellement commencé à exister qu’avec cette scène. Je n’ai pris conscience de l’ensemble de la réalisation qu’en visionnant cet extrait en post-production. Cette séquence-ci et l’interview d’Adrien Brody sont des temps majeurs du long-métrage. Ce sont des moments-clefs qui donnent à l’ensemble une teinte presque abstraite.
Il a été très facile de joncher le sol d’une salle de classe de livres épars, de feuilles d’arbres, de chaises renversées... C’est un instant qui met en exergue de multiples atouts du film. La présence du tableau noir, par exemple. Ce tableau est un personnage à part entière. Y voir écrit « The Fall of the House of Usher » , le nom d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe, lui redonne toute son importance.
La voix d’Adrien est également irremplaçable, tout particulièrement lors de cette scène. Il a des intonations extraordinaires. Je suis intimement convaincu qu’il pourrait lire une notice d’installation a haute-voix et la rendre fascinante.
Detachment est une oeuvre à multiples facettes. Si l’on ne devait en retenir qu’un message essentiel, quel serait-il ?
Plus encore qu’un film sur l’éducation, Detachment est un film sur la condition humaine. C’est un simple constat, admettant simplement qu’il faut faire ce qui est en notre pouvoir pour améliorer les choses et être présent pour le plus de personnes possible.
En tant que réalisateur, Detachment m’a permis de découvrir une foule d’individualités différentes. J’ai 59 ans, et pourtant je me considère encore au début de ma carrière... J’aime à croire que j’aurai la possibilité de réaliser encore de nombreux longs-métrages.
Detachment sera distribué dans les salles françaises à partir du 1er février 2012.
Propos recueillis à Paris, le 24 janvier 2012.
Galerie photos
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