Le 24 septembre 2019
Sol Elias nous livre avec Tête de tambour un premier roman qui aborde une histoire familiale tragique et émouvante, à travers le récit de la vie de son oncle, atteint de schizophrénie
Sol Elias, c’est votre premier livre. Pourquoi un livre comme celui-ci, tourné vers une maladie dont on parle peu : la schizophrénie ?
Tête de tambour est un livre que je ne pouvais pas ne pas écrire et par lequel je me devais de commencer. C’était à la fois une nécessité, inévitable donc, et une mission à relever. Dès que j’ai eu cinq ans, mon oncle qui était atteint de schizophrénie et qui se rêvait écrivain (il passait ses journées à gribouiller des notes inspirées de ses « traversées » et expériences dont il espérait pouvoir tirer un livre) m’a investie de ce que j’ai longtemps vécu comme un sacerdoce : écrire un jour le livre que lui, du fait de sa maladie, ne pourrait jamais écrire. Très jeune, je voulais devenir écrivain – il s’agissait bien de mon désir, mais je savais que je ne pourrais le devenir qu’en soldant d’abord cette « dette ». Alors, un jour, en 2012, j’ai commencé à dépouiller les notes de mon oncle, laissées « en héritage », avec l’idée de les passer au tamis de la fiction, d’en faire non pas un témoignage mais bien un roman. Évidemment, la schizophrénie – ou plutôt le parcours d’un schizophrène – en est un des principaux sujets, puisqu’il s’ancre dans ce matériau du réel que sont les quarante-quatre ans de petits papiers laissés par mon oncle, mais c’est aussi un livre qui interroge la famille et l’idée d’héritage.
Au-delà de la maladie, il y a aussi ici un partage sur le processus de création de votre oncle qui a trouvé son aboutissement dans votre livre. Pensez-vous que les reliquats d’un(e) artiste puissent faire naître un(e) autre artiste ? Comment fait-on pour intégrer cette part qui n’est pas sienne dans son travail ? Quel a été votre processus de travail ? Combien de temps cela vous a-t-il pris pour exploiter les matériaux laissés par votre oncle ?
Merci pour cette question qui est centrale pour comprendre, je crois, la démarche qui habite Tête de tambour. J’ai mis quatre ans pour écrire ce premier roman, dont presque une année à « dépouiller », déchiffrer, mettre en ordre les fameuses notes laissées par mon oncle. Elles sont au cœur du texte : elles le nourrissent, lui donnent sa patine propre. Pour moi, ce livre est vraiment un texte au sens étymologique du terme, celui de « tissu ». J’y ai tissé les différents fils de l’histoire, puisque j’ai choisi d’écrire un texte polyphonique, et je le brodais d’un fil d’or. Pour moi, ce « fil d’or », ce sont les pensées, aphorismes, petites phrases que j’ai tirés des petits papiers hérités de mon oncle, et qui sont venus s’intercaler dans ma propre voix, comme des petites pierres brillantes, pour donner au roman sa vérité. J’ai intégré ces « reliquats » dans mon texte, après un long travail d’appropriation. Une fois les notes de mon oncle mises au propre, je n’ai cessé de les lire et de les relire. À la fin, j’avais l’impression de les connaître par cœur. Quand j’écrivais, souvent sa voix me venait, certaines de ses expressions, de ses termes… Je les insérais naturellement dans ma phrase, au point qu’aujourd’hui, quand je relis mon propre texte, je ne sais parfois plus exactement ce qui est de lui.
Ces « reliquats » du processus créatif entamé par mon oncle ont donc pleinement participé à la naissance de mon propre livre. De façon générale, je pense fondamentalement que tout travail artistique s’inscrit dans la lignée de ceux qui l’ont précédé ou de ceux qui lui sont contemporains. On n’écrit jamais ex-nihilo, à partir de rien du tout, mais toujours avec les autres. Le texte est comme un écosystème ! Sans eau, soleil ou terre, la graine ne pousse pas. De la même façon, le texte coupé de son terreau d’intertextes, de contextes ne peut pas naître : nous sommes nourris par toutes les autres voix et les autres textes qu’on a pu croiser, depuis toujours.
Quel rapport entreteniez-vous avec votre oncle ?
J’avais un lien compliqué avec lui, à la fois filial et tendre, presque nostalgique, quand je repense à mon enfance auprès de lui, et en même temps, je ne peux pas m’empêcher de ressentir beaucoup de colère à son encontre, face à ses « frasques », à ce qu’il faisait subir à sa famille à cause de sa maladie. En écrivant Tête de tambour, j’ai pu donner à ce lien une forme apaisée, capable du moins d’être regardée.
Dans quel état psychique étiez-vous durant l’écriture de l’ouvrage ?
Il ne m’est pas facile d’écrire, quel que soit le sujet. Je suis à fleur de peau pendant tout le processus d’écriture, dans des états d’hypersensibilité et réceptivité. Ça vient toujours remuer quelque chose du tréfonds – un fonds confus, presque archaïque. Je puise l’écriture de mes textes dans cette matière-là, quasi organique. Je me reconnais pas mal dans la métaphore du poète-pélican de Musset : il doit piquer et arracher des lambeaux de son propre cœur pour nourrir ses oisillons.
Quand j’écrivais Tête de tambour, c’était encore autre chose. Il fallait en plus y ajouter cette dimension très personnelle, celle d’un récit intime, qui s’écrivait à quatre mains en quelque sorte. Et en plus sur la folie… J’avais l’impression d’être une équilibriste qui devait s’approcher de très près de son sujet, tout en restant à distance suffisante pour ne pas y tomber et pouvoir l’écrire. Pendant toute cette période d’écriture, j’ai eu besoin littéralement de « m’aliéner » : j’ai écrit une grande partie du livre alors que je résidais en Turquie, où j’ai travaillé pendant deux ans. Le fait d’être dans une autre langue et culture que la mienne m’a beaucoup aidée à trouver ma « petite zizique ».
Vous revenez d’une résidence à Brive ? Comment cela s’est-il passé ?
C’était ma première résidence de création. Je crois que j’ai eu beaucoup de chance de la faire avec la ville de Brive, qui est très investie pour le livre, avec la fameuse foire, et de façon générale pour promouvoir les auteurs et autrices. Ils n’hésitent pas à « mettre le paquet », pour donner de la visibilité aux écrivains qui passent par la résidence. J’y ai en tout cas rencontré de très belles personnes, et ai pu collaborer avec le journal « La Montagne » où j’écrivais des billets hebdomadaires. C’était une jolie façon d’entrer en contact avec les Brivistes, de faire le lien entre écrivain et communauté, tout en travaillant à la préparation de mon deuxième roman.
Et vous serez donc à la Foire du livre de Brive, pour sa 38e édition les 8, 9 et 10 novembre prochain ?
C’est un excellent prétexte pour revenir à la rencontre des Brivistes ! J’y serai, en effet, avec d’autres auteurs de ma maison d’édition, Rivages, et avec l’équipe éditoriale dont je tiens au passage à saluer l’important travail.
Quel sera le sujet de votre prochain livre ? Quand sortira-t-il et dans quelle maison d’édition ?
Je continue avec mes questionnements sur les masques, les impostures… tous ces « Autres » qui cohabitent en nous et avec lesquels nous devons bien nous constituer un visage, faire une vie. Ce sera cependant sur un tout autre sujet : je m’intéresse au parcours d’une escort-girl aux multiples identités, qui finit par devenir escroc.
J’ai commencé à écrire véritablement cet été : j’espère pouvoir proposer un manuscrit aux éditions Rivages, d’ici avril ou mai 2020… en espérant qu’on lui donnera suite !
Tête de tambour - Sol Elias
Rivages
208 pages - 18 €
Copyright Rivage, 2019
Galerie Photos
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