Apocalypse Now
Le 25 décembre 2021
Don’t Look Up est une farce grinçante, outrancière et furieusement actuelle sur l’âme noire de l’Amérique car ce qui peut paraître bouffon, absurde, voire dérisoire, ne l’est bien sûr pas tant le film est une charge pamphlétaire d’une puissance incommensurable sur la mécanique sadique du langage médiatique.
- Réalisateur : Adam McKay
- Acteurs : Ron Perlman, Cate Blanchett, Leonardo DiCaprio, Meryl Streep, Jonah Hill, Tyler Perry, Jennifer Lawrence, Mark Rylance, Timothée Chalamet
- Genre : Comédie, Comédie dramatique, Science-fiction, Film catastrophe, Comédie noire
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Netflix
- Durée : 2h20mn
- VOD : Netflix
- Titre original : Don't Look Up
- Date de sortie : 24 décembre 2021
Résumé : Persuadés qu’une météorite s’apprête à détruire la Terre, deux astronomes peu crédibles aux yeux de la population se lancent dans une tournée médiatique pour prévenir l’humanité de la probable et inévitable fin du monde.
- Copyright NIKO TAVERNISE/NETFLIX
Critique : Trois ans après Vice, satire aussi réjouissante qu’effrayante sur la banalisation du mal, l’irrévérence d’Adam McKay fait une nouvelle fois merveille avec son nouveau long métrage Don’t Look Up. Le film suit le destin hors norme de deux lanceurs d’alerte bravant tant bien que mal les multiples failles du système politique américain pour se hisser au plus haut niveau du pouvoir et tenter d’alerter la population d’une catastrophe imminente. C’est l’histoire invraisemblable et, par conséquent, au potentiel comique inébranlable, d’un duo transparent qui finit par conquérir la sacro-sainte Maison-Blanche et tenter de redéfinir intégralement le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui au prix d’une vérité dure à avaler. Comme pour la crise financière dévastatrice de 2008 avec The Big Short ou les exactions intolérables de l’administration Bush envers la Constitution américaine avec Vice, peut-on se permettre de rire d’une situation aussi moralement vivifiante ? Oui, à condition que la dénonciation sociopolitique soit amené avec intelligence comme Charlie Chaplin a pu le démontrer tout le long de sa filmographie prolifique, Le Dictateur en tête. Arrêts sur images, montage cut, raccords absurdes, zooms incessants, images subliminales : McKay réalise une vraie démonstration de force avec une audace formelle dans sa mise en scène et sa narration, permettant de sortir du carcan étriqué du film politique traditionnel. La concrétisation ultime de ce parti pris jubilatoire du rire contre la folie demeure la première entrevue entre la présidente Janie Orlean et les docteurs Randall Mindy et Kate Dibiasky sur la probabilité d’une fin du monde à moyen terme, summum de la bêtise à l’état pur. Ce même procédé "comico-lunatique" se manifestait déjà dans Vice à travers une scène à priori banale de repas collectif entre Dick Cheney et son équipe de communication, où les plats indiqués à la carte du restaurant étaient remplacés par des arguments géopolitiques quant à l’issue de la guerre en Irak. En somme, l’ironie absurde qui fait de Don’t Look Up un chef-d’œuvre en son genre passe par l’horreur auquel est confronté le duo d’astronomes, désespérés face à ses politicards de pacotille semblables à des enfants munis de revolvers jouant inconsciemment dans la cour de récréation. On reste fasciné par cette parade médiatique grotesque grâce à la performance habitée de Leonardo Dicaprio et l’écriture authentique de son personnage héroïque qui suscite une empathie voire un attachement tout particulier pour cet homme mené la plupart du temps comme une marionnette désarticulée dans le petit théâtre médiatique.
- Copyright NIKO TAVERNISE/NETFLIX
La figure du héros a toujours fasciné le cinéma. Qu’elle soit politique, sociétale ou symbolique, elle a traversé l’Histoire sans perdre le moindre intérêt, sachant toujours se renouveler en fonction de l’époque où l’œuvre est conçue. Ce héros du quotidien qu’affectionne la culture américaine a tendance à être érigé au rang d’effigie nationale mais c’est oublier tout le chemin de croix qu’il a foulé pour déceler la vérité, changer un monde jusqu’à ses fondements les plus inattaquables, avec cette ambition propre aux grands hommes de mener un combat à la fois intime et universel. Parmi l’un des exemples les plus frappants, le cinéaste Clint Eastwood a entrepris d’analyser l’engrenage implacable qui fait d’un Américain lambda un héros par excellence et, bien sûr, toutes les problématiques qui s’y référent insidieusement. Son trente-septième film en tant que réalisateur, Le Cas Richard Jewell, en épousait déjà les paroles dites précédemment. Don’t Look Up se veut comme le pendant subversif de cette réflexion désabusée sur l’Homme face au monde, le citoyen confronté à l’autocratie, la désacralisation du héros en somme. Don’t Look Up éblouit par la puissance de son propos envers une Amérique encore gangrenée par la corruption de ses administrations et les dérives inacceptables liées à celles-ci, le tout corroborant impérialement avec la personnalité énergique intacte de son auteur passé maître dans l’art de la satire au vitriol. On retrouve cette même hargne chez Hal Ashby, dont le Bienvenue Mister Chance, à travers le portrait d’un jardinier quinquagénaire prénommé Chance qui par un concours de circonstances devenait la nouvelle coqueluche médiatique de l’administration américaine, anticipait déjà le guet-apens symbolique du langage médiatique, propre à l’interprétation la plus fantasque et farfelue, capable de renverser la réalité dans une matrice fictionnelle sans échappatoires. La filiation avec Adam McKay paraît dès lors évidente, Dont Look Up ne cessant de déifier ses faux prophètes et stigmatiser les derniers combattants de la vérité, partisans de l’apocalypse du monde occidental. Le film est une farce instructive, grinçante, satirique, outrancière et furieusement actuelle sur l’âme noire de l’Amérique, celle qui s’est servi auparavant des attentats du 11 septembre pour revitaliser son image guerrière. Le spectateur en ressort transformé puisque ce qui peut paraître bouffon, absurde, voire dérisoire, ne l’est bien sûr pas tant le film est une charge pamphlétaire d’une puissance incommensurable sur ce qui subsistera comme le dernier témoignage de l’Humanité.
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ceciloule 29 décembre 2021
Don’t Look Up : Déni cosmique - Adam McKay - critique
En effet, cette satire ouvre les yeux, sert d’avertissement tout en parodiant ces films catastrophe, si américains, boursouflés de clichés. Il y en a tout autant ici, mais la manière dont McKay s’en sert à outrance, tant dans la narration que dans les caractéristiques formelles, et les détourne fait de ce film une farce, comme vous l’écrivez si justement (j’en parle plus longuement sur Pamolico, blog de critiques : https://pamolico.wordpress.com/2021/12/29/dont-look-up-adam-mckay/)