Le 5 avril 2016
Un film singulier et aride qui est aussi une radioscopie d’une époque.
- Réalisateur : Raúl Ruiz
- Acteurs : Daniel Gélin, Sergio Hernández, Françoise Arnoul
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h40mn
- Titre original : Dialogo de exilado
- Date de sortie : 23 avril 1975
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Résumé : Des réfugiés politiques chiliens racontent leur existence d’exilés dans le premier film réalisé en France par Raoul Ruiz.
Critique : Curieux film que ces « dialogues », mis bout à bout en une trentaine de séquences, dont un grand nombre de plans-séquences, qui enregistrent des discours pontifiants ou ridicules, sincères ou teintés de rouerie. Ruiz y suit des exilés chiliens, qui survivent en vase clos à Paris, perdus dans des rêves ou des tirades politiques. Dire que l’on comprend tout serait excessif ; les paroles se coupent ou sont abandonnées par le passage d’un personnage différent. Bien sûr, ça et là, le cinéaste fait référence à la situation de son pays : Pinochet est ainsi condamné à travers des histoires tragiques racontées à une Française qui aide les réfugiés. Mais ce qui frappe dans ce premier film réalisé en exil, c’est l’ironie mordante et subtile : Daniel Gélin
pontifie sans écouter ; les réfugiés s’embourbent dans de fumeuses discussions stériles. Aucune action, seule la parole porte le long-métrage en une logorrhée infinie. C’est sans doute ce qui lui a été reproché à l’époque : là où l’on attendait un brûlot politique ou une lamentation nostalgique, Ruiz construit un film distancié (Dialogues d’exilés est aussi le titre d’une pièce de Brecht) presque sans affect (tout juste voit-on une femme pleurer discrètement) et à la scénographie subtile : le passage d’un personnage à l’autre est d’une incontestable habileté, au gré souvent d’ouvertures et de fermetures de portes. Mais, de fait, le bout à bout de ces séquences constitue une magnifique caricature de l’engagement politique et de la bonne conscience qui renvoie dos à dos exilés et Parisiens : le film donne l’impression de faire du sur-place et au fond, rien n’a changé entre le début et la fin. Les personnages n’ont pas évolué, l’action reste absente et, si l’on peut dire, personne ne s’est écouté.
On sent parfois que Ruiz fait des expérimentations : ainsi, dans l’une des séquences finales, deux personnages flous discutent, alors qu’un autre, net, chante au milieu des arbres. Le travail sur le plan-séquence sans systématisme fait également partie de cette recherche. Pour autant, Dialogue d’exilés n’est pas une œuvre abstraite et théorique : le Chilien y produit un discours, très marqué par son époque, mais dont il se défie et se moque. Les palabres marxistes y sont impitoyablement caricaturées, mais les autres (les bourgeois parisiens, les humanitaires, les complices de Pinochet) ne s’en sortent pas indemnes.
En auscultant un microcosme qu’il connaît bien, Ruiz analyse une société malade, perdue dans des discours que personne n’écoute. Comme (mais dans un genre très différent) Rohmer et Pauline à la plage, il fait le constat d’un monde nombriliste, enfermé, comme le sont les protagonistes dans leur appartement parisien, prisonnier d’une perpétuelle et fausse auto-analyse. C’est une parabole sur notre époque qui produit un discours infini, qui ne fait plus rien avancer et n’est plus qu’un ressassement propre à épuiser le langage. En ce sens et malgré d’évidentes scories dues à l’âge , Dialogue d’exilés est d’une actualité incontestable.
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