Lettres persanes
Le 15 octobre 2003
Avec ce troisième recueil, Spôjmaï Zariâb prouve s’il était encore nécessaire combien elle cultive l’art de la nouvelle avec autant de sobriété que de poésie.
- Auteur : Spôjmaï Zariâb
- Editeur : Editions de l’Aube
- Genre : Roman & fiction
L'a lu
Veut le lire
Miles Davis avait coutume de poser pour question essentielle : "Pourquoi jouer tant de notes alors qu’il suffit de jouer les meilleures ?"... L’épure du jeu du trompettiste était en effet la clé de sa musique aussi sobre qu’émouvante. S’inscrivant dans la même logique, l’écriture de Spôjmaï Zariâb se concentre sur de belles notes portées par l’espace et le silence. L’effet est semblable : les textes d’une grande poésie de cette écrivaine afghane sont aussi simples que bouleversants.
Ancrées dans les sombres heures de son pays, les histoires de Spôjmaï Zariâb n’ont cependant pas vocation à répandre le goût du bonheur. Bien que centré sur la thématique de l’enfance, son troisième recueil de nouvelles, Dessine-moi un coq, reste ainsi empreint d’une grande tristesse, l’auteur n’ayant de cesse de constater la violence d’un monde où l’humain n’est qu’un simple rouage broyé par des systèmes politiques et culturels discrétionnaires.
Dans la première nouvelle au titre éponyme du recueil, une femme se remémore avec mélancolie son enfance en Afghanistan en contemplant le dessin d’un coq réalisé par sa fille. Les diverses facettes du visage de sa propre mère resurgissent des tréfonds de sa mémoire, de sa gaieté assurée face à un vieil ami aveugle jusqu’à son regard craintif sous l’emprise implacable d’un cousin obscurantiste. Le regard des hommes est une telle violence que la jeune femme se rappelle combien elle avait souhaité alors petite fille que tous les hommes soient aveugles afin que sa mère puisse être heureuse.
Mais c’est aussi la guerre qui endeuille les héroïnes de Spôjmaï Zariâb telle cette vieille femme qui pressent d’avance la perte de son fils ou simplement le quotidien d’une folie terrifiante qui emporte la société comme cet enfant qui s’amuse à couper les pattes et la queue d’un chat.
Face aux valeurs en perdition de l’humain et de la raison, les femmes subissent et transmettent leur poids de cauchemar de mère en fille. Certaines quittent leur pays mais souffrent de l’éloignement de la terre natale à l’instar peut-être de l’auteur, exilée en France depuis 1990.
Mais ces nouvelles d’une profonde mélancolie sont également une ode à la littérature et son cortège de mythes et de légendes, qu’ils soient issus de la littérature orientale ou occidentale. Les mots sont en effet le viatique pour fuir la tristesse telle cette jeune enseignante qui s’évade dans la poésie persane pour oublier sa sinistre salle de professeurs poussiéreuse. La petite musique de Spôjmaï Zariâb résonne quant à elle longtemps dans nos esprits à la façon des blues de Miles Davis : en quelques notes aussi pures que durables.
Spôjmaï Zariâb, Dessine-moi un coq (Traduit du persan (Afghanistan) par Didier
Leroy), Editions de l’Aube, 2003, 99 pages, 9,50 €
Pour aller plus loin : un autre recueil de nouvelles d’un écrivain afghan, Perdus dans la fuite de Assef Soltanzadeh, paru l’an dernier chez Actes Sud
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.