Le sens de la vie
Le 24 septembre 2003
Secret et rédemption dans le petit monde de la réserve indienne de Little No Horse. Cocasse, exubérant, émouvant et délectable.
- Auteur : Louise Erdrich
- Editeur : Albin Michel
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Américaine
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Louise Erdrich annonce d’emblée la couleur : le père Damien Modeste, cent ans passés, en charge depuis des lustres de la paroisse de Little No Horse, Dakota du Nord, est une femme. Après de terrifiantes et hilarantes tribulations, cette ancienne nonne et ancienne épouse d’un fruste fermier d’origine allemande, échoue dans sa paroisse, rescapée des flots en furie de la Red River sur le couvercle d’un piano. Depuis, elle vit dans le secret. Vous avez dit abracadabrant ? Détrompez-vous, pas un instant on ne doute de la véracité de cette histoire à dormir debout. C’est que la romancière, dans la lignée des grands conteurs enchanteurs d’imaginaire (on pense à García Márquez), a les moyens de plume de faire gober tout et n’importe quoi à son lecteur.
Louise Erdrich est d’origine indienne et allemande, un métissage détonant dont elle s’inspire, depuis bientôt vingt ans qu’elle est publiée, pour bâtir son petit monde de la réserve ojibwé de Little No Horse [1]. Ce livre-ci renferme une double histoire, celle des passions religieuses et charnelles du père Damien à l’identité usurpée - un mensonge d’une sincérité absolue - et celle de ses ouailles, le peuple ojibwé. La lecture de ce roman - et ce n’est pas son moindre mérite - vient tordre le cou à jamais aux clichés propagés sur les Indiens. La trame est tragique, le siècle qui vient de se terminer les a vus décimés par la famine et les épidémies, dépouillés de leurs terres par des promoteurs sans foi ni loi. Mais comme sous la soutane du père Damien résiste jusqu’au bout la femme sensuelle prénommée Agnes, les Kashpaw, Nanapush, Lamartine et autres Morrisey tiennent bon, derrière la forteresse d’une culture millénaire.
L’arrivée d’un émissaire papal venu enquêter sur les prétendus miracles d’une religieuse du couvent voisin déclenche les réminiscences du père Damien. Il s’en est passé des choses, durant les quelque quatre-vingts années qu’a duré son sacerdoce chahuté. Événements qu’il/elle se remémore à l’allure d’un orignal en rut poursuivant sa dulcinée (appréciez cette image qui renvoie à l’une des scènes les plus burlesques du roman). Conversations, anecdotes et légendes s’imbriquent, brillamment agencées. Savoureuses ramifications, développements inattendus, péripéties picaresques, métaphores sidérantes et coups de théâtre désopilants font vibrer ses souvenirs. Lyrisme visionnaire et empathie galopante baignent cette fiction dynamique et tentaculaire, foisonnant de personnages hauts en couleur.
Mais sous l’exubérance, la bouffonnerie et le sexe échevelé pointe l’émotion brute, et sous la gaudriole la lucidité. "Rire ou pleurer, c’est du pareil au même." Car là réside le vrai miracle de ce roman de la quête identitaire, livre du pardon et de la réconciliation, de l’amour profond et puissant, rédempteur, qui extirpe de ses personnages, même les plus sombres, l’étincelle qui les rend humains. Nos frères.
Louise Erdrich, Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse (Last Report on the miracles at Little No Horse, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez), Albin Michel, 2003, 534 pages, 23 €
[1] Parmi les romans de Louise Erdrich se passant dans la réserve de Little No Horse, L’amour sorcier, publié chez Laffont en 1986, et La femme antilope, chez Albin Michel en 2002
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