Esclavage contemporain
Le 21 août 2020
Un récit prodigieux à trois voix : celle d’Eddie, de sa mère Darlène et de Scotty, compagnon d’infortune, pour dépeindre toute l’ambiguïté des Etats-Unis : le pays où tout est possible, l’est pour le meilleur comme pour le pire. Un roman subtil qui ne laisse pas indifférent.
- Auteur : James Hannaham
- Editeur : Éditions Globe
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Cécile Deniard
- Prix : Le Pen/Faulkner
- Date de sortie : 26 août 2020
- Plus d'informations : Site des Editions Globe
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Résumé : Darlene, devenue veuve en raison d’un crime racial, ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle tombe alors dans diverses addictions, que des esclavagistes modernes vont exploiter. Son fils, Eddie, tente par tous les moyens de l’aider à retrouver les chemins de la liberté.
Critique : Les premières pages du livre demandent d’avoir l’estomac bien accroché. Eddie, 17 ans, conduit une voiture avec ses moignons ensanglantés. Il fuit son enfer pour rejoindre sa tante, Bethella, seul repère depuis son enfance.
Le roman est construit par flashbacks et à plusieurs voix, qui vont ainsi, peu à peu, amener le lecteur à reconstituer l’histoire. D’abord, celle d’Eddie, qui tente de se construire après avoir connu une mère absente, emportée par la drogue. Celui-ci est ensuite confronté à l’esclavage moderne, dans une ferme où les travailleurs sont enfermés, drogués et exploités. Là-bas, les travailleurs vivent dans un poulailler, triment du matin au soir, pour récolter les fruits qui doivent être parfaits avant d’être exportés, sont payés avec des doses de crack à volonté et accumulent des dettes phénoménales les empêchant de s’échapper.
Cette spirale de la drogue, Hannaham l’incarne avec un personnage, qui donne de la voix, le temps de son emprise sur Darlene. Ayant pris le pas sur son humanité, le crack devient un compagnon, qui témoigne de sa domination dans les chapitres où le protagoniste s’exprime, avec un style et une vision qui lui appartiennent. Ce décalage entre le cynisme de l’humour, propre à cette expression, et les situations qu’il décrit donne sa puissance au roman.
Le récit tire sa force des personnages. Loin d’être des porte-voix d’une cause, en l’occurrence celle du racisme envers les Afro-Américains, ceux-ci ont une épaisseur qui leur donne un caractère universel. La spirale de la drogue, du chagrin et de la perte des illusions n’est pas le lot d’une seule personne, ni même d’une catégorie de la population, elle témoigne de la misère que l’on trouve dans ce bas monde, que l’on soit du côté des opprimés ou des oppresseurs. En ce sens, le roman prend parfois des allures journalistiques, où l’on aimerait croire qu’il ne s’agit que de fiction, mais où la réalité se montre malheureusement tout aussi inspirée.
Des fermes aux esclaves ont été régulièrement dénoncées en Floride, notamment au début des années 2000, révélant « l’importation » de travailleurs mexicains pour les forcer à s’épuiser dans des fermes agricoles, ainsi que des réseaux de prostitutions organisés. James Hannaham, en évoquant ses personnages avec respect, sans drame ni sentimentalisme, redonne à travers ce roman la parole à celles et ceux qui sont déshumanisés, car irrémédiablement catégorisés. Darlene n’est pas qu’une junkie ou une esclave, c’est aussi une mère qui cherche à protéger son fils, une femme qui tente de retrouver le sentiment d’amour, qui souhaite regagner sa dignité perdue.
Au-delà de ses personnages qui hantent après la lecture, c’est le cynisme de la société nord-américaine et plus globalement du monde occidental qui est décrit tout au long du roman. « En Louisiane, un Noir a plus vite fait de trouver un igloo que la justice ». Le texte parle de l’iniquité d’être condamné à son sort, de voir les dettes s’accumuler, l’emprise exercée par la drogue, constate la résignation, quand la solidarité ne peut plus s’exercer. Eddie, lui, ne s’apitoie jamais sur son sort. Il devient « le manchot pas manchot », part à la recherche de sa mère, lorsque celle-ci disparaît, sans se poser de questions, ni en retirer aucune gloire. En payant sa liberté au prix fort, il s’octroie ainsi le droit de choisir sa vie, loin de la drogue et autres illusions destructrices.
Ce roman fort sur la justice, la survie et l’emprise, écrit dans un style remarquable, nous embarque dès les premières lignes. James Hannaham conclut le roman par une réflexion profonde sur la condition humaine, faisant de ce livre un récit universel, témoin de son époque.
400 pages - 22 €
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