Delicatessen, la poésie au hachoir
Le 21 septembre 2021
Premier film du duo Caro-Jeunet, Delicatessen fait du beau avec de l’horreur... sans se prendre pour Baudelaire.
- Réalisateurs : Jean-Pierre Jeunet - Marc Caro
- Acteurs : Dominique Pinon, Karin Viard, Jean-Claude Dreyfus, Howard Vernon, Rufus, Dominique Zardi, Ticky Holgado, Chick Ortega, Marc Caro, Dominique Bettenfeld, Marie-Laure Dougnac
- Genre : Comédie, Drame, Comédie dramatique, Fantastique, Épouvante-horreur, Film culte
- Nationalité : Français
- Distributeur : Splendor Films , UGC Distribution
- Durée : 1h37mn
- Reprise: 8 novembre 2023
- Date de sortie : 17 avril 1991
– Reprise en version restaurée : 8 novembre 2023
Critique : L’histoire d’un bonhomme fort sympathique qui nourrit tout un immeuble grâce à sa boucherie. Jusqu’ici, rien d’anormal ; en temps de guerre, c’est même plutôt admirable. Mais on comprend bien vite que ce boucher n’a rien du gentil joufflu de chez Cochonou. Les premiers plans très sombres nous plongent dans un état de tension, encore accentué par le sifflement continu du lecteur cassette (sic). Et puis il y a ces visages, filmés en gros plans, les yeux exorbités. On pousse un ouf de soulagement quand Justin Bridoux lève son hachoir sur le clampin réfugié dans une poubelle. Bienvenue au Delicatessen.
- © Claudie Ossard
Dans ce paysage lunaire apparaît un jeune homme pas vraiment jeune à l’objectif pas très objectif. Malgré son allure chétive, Louison est engagé comme homme à tout faire, nourri, logé, blanchi. Les dialogues sont rares, le décor quelconque, c’est pourquoi on a du mal à cerner la motivation des différents locataires. Ils ont pourtant tous un point commun : la folie. Un papi solitaire qui vit au milieu des grenouilles, des vendeurs de boîtes à meuh, une femme suicidaire qui entend des voix… Tout comme Louison, on est un peu forcés de s’habituer à eux.
Le jeune commis (ex-clown qui a perdu son associé primate) fait bientôt la rencontre de Julie, la fille du boucher. Après un coup de foudre inattendu, elle l’invite à prendre le thé et se sent tout émue. La scène dans son appartement, où elle (violoncelle) joue avec lui (scie musicale), est un modèle d’amour poétique qui nous transporte bien au-delà du poste cathodique. Sauf que. Sauf que le boucher devient de plus en plus étrange. Alors qu’une mamie disparaît un soir dans des conditions mystérieuses, il y a du hachis en boutique le lendemain. Julie (Marie-Laure Dougnac), parfaite dans son rôle de brave ingénue, va demander de l’aide aux troglodistes, qui ont plus de cascades que de rôle véritable dans l’intrigue. On passera toutes les péripéties suivantes jusqu’au dénouement, qui verra l’immeuble inondé, puis le boucher succomber à l’ultime coup de Trafalgar de son protégé, au grand bonheur des amoureux.
Ce film peut autant passer pour un chef-d’œuvre de cinéma qu’une vaste arnaque... Et peu importe, finalement. On rentre assez difficilement dans l’histoire, comme si les réalisateurs voulaient décourager les plus sains d’esprit avec un raisonnement qui peut résumer à : « ces gens sont fous, il n’y a aucune logique là-dedans ». Et c’est vrai que l’absurde tout seul n’a pas sans grand intérêt. C’est seulement quand on comprend que le boucher tente de survivre à la guerre en travaillant la chair humaine (sans toutefois trucider tout l’immeuble, sans quoi il n’aurait plus de clients), que les résidents ne sont pas si bizarres. A ce moment-là, le film prend tout son sens. Il faut bien sûr saluer la réalisation audacieuse de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, qui savent s’attacher aux détails comme sur Amélie Poulain, sans atteindre la caricature des comédies horrifiques type Scary Movie ou La famille Adams. Delicatessen est une fable des temps de crise, où l’homme peut s’habituer à peu près à tout. C’est tragique et drôle à la fois, comme un sourire de Dominique Pinon.
- © Claudie Ossard
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Beamar 23 août 2019
Delicatessen - Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro - critique
Analyse fine et sensible
birulune 23 août 2019
Delicatessen - Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro - critique
Une fable des temps de crises où l’on peut s’habituer à peu près à tout "en effet c’est finement observé. Dreyfus est génial en bon gros salaud, touchant en même temps que monstrueux, et l’acteur fétiche Pinon est à la hauteur aussi, une vraie gueule de cinéma, comme le reste du casting, que du beau monde. Au lieu de prendre une bande de jeunes décérébrés fêtards prêt à se faire massacrer en forêt par un croque-mitaine taiseux, les dialogues ne sont pas là pour meubler avant la boucherie, les cris et la violence gratuite cathartique, tout le monde a une personnalité, une raison d’être, et on parle dans les escaliers de qui va se faire manger, comme on parle de la météo. Surréaliste. C’est-à-dire que la guerre, à peine esquissée au détour des dialogues, on est à fond dedans sans y être du tout, c’est la vie de tout les jours, sans drame, on secoue les tapis. La scène d’intro est prenante, la partie en vue subjective est immersive, on est à la place du gars qui veut pas finir dans l’assiette des autres. Peu de sang, beaucoup de poésie, mais celle de tous les jours, à la Delerm, douceureuse, presque jusqu’à l’excès tellement le film est bien ficelé