Feu de glace
Le 29 juin 2016
Le premier volet du Décalogue de Kieslowski, portrait glaçant d’une Pologne hantée par ses démons, tout autant que digression méta sur fond de filiation impossible et de transcendance.
- Réalisateur : Krzysztof Kieślowski
- Acteurs : Henryk Baranowski, Wojciech Klata, Maja Komorowska
- Genre : Drame
- Nationalité : Polonais
- Durée : 53mn
- Reprise: 29 juin 2016
- Titre original : Dekalog
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– Année de production : 1987
– Reprise salle : 29 juin 2016 (distribution MK2/Diaphana Distribution)
Résumé : Pavel, onze ans, découvre le cadavre d’un chien dans la neige et s’interroge sur la mort. Sa tante, catholique fervente, prie inlassablement tandis que son père, universitaire spécialisé en informatique, s’en remet à une philosophie des plus cartésienne. Pour lui, impossible d’imaginer la persistance d’une âme après trépas…
Notre avis : Nous sommes en 1988 et Krzysztof Kieslowski vient de réaliser une série de dix moyens métrages pour la télévision polonaise formant une série intitulée Décalogue, en référence à la version catéchétique des dix commandements. Le premier épisode de cette œuvre pléthorique, renommé entre temps Un seul Dieu tu adoreras s’ouvre sur un regard caméra à la Klimov, vision mentale d’une mort prochaine bleutée et inéluctable. Cerné par la neige et le feu dans un espace irréel et tellurique, un visage hâve au regard oblique toise le spectateur avec gravité, le prenant à témoin du récit à venir - ce même regard scrutateur fait office de clé de voûte dans la plupart des épisodes du Décalogue. S’agit-il de l’allégorie du souffle divin sur le point de faucher le jeune Pavel, lui dont le père ne perçoit de salut que dans la science par opposition à toute forme de transcendance ? Peut-être. Ou bien est-ce là une manière pour Kieslowski de placer sa première pierre du Décalogue sous le signe d’une faute que le spectateur viendrait lui-même expier. Mais ne penser cette œuvre qu’au travers du prisme religieux serait une erreur. Au fond, la question des pêchés importe peu dans le dispositif du cinéaste polonais, la dimension morale et biblique n’étant qu’un artifice lui permettant d’aborder le devenir de la Pologne et de ses habitants sur un axe cosmique, leur rapport à la loi. Il y a en cela toute un héritage tarkovskien, qui voit se télescoper l’Histoire, l’art et par extension toute forme d’occultisme. La famille décrite par Kieslowski est dysfonctionnelle : le père vit seul avec son fils Pavel, dont l’influence féminine se limite à sa tante très pieuse. Après avoir découvert la dépouille d’un chien dans la neige, Pavel interroge son père au sujet de la mort. Pas question, estime ce dernier, d’imaginer la persistance d’une âme après un décès, même si perdure la mémoire de ce qu’aura réalisé le défunt de son vivant. De l’appartement sans âme à la cité dortoir morne qui l’abrite - structure filée tout au long du Décalogue - en passant par les étendues neigeuses adjacentes au milieu desquelles trône une église pétrifiée, Kieslowski capte un univers dépourvu de vestiges de passé. Le regard du réalisateur sur ses compatriotes est froid voire cruel. Difficile de ne pas y sentir une forme de pessimisme chronique à l’œuvre.
- © TVP
Alors que le père en vient à aduler l’intelligence artificielle qu’il a créée au détriment du sentiment humain, c’est celle-ci qui lui fera défaut au moment de calculer l’épaisseur de la couche de glace sur le lac. Les flashs métaphysiques mettant en scène l’homme au regard bleu assis auprès d’un feu sur la glace n’étaient qu’un avertissement, comme si une force supérieure présidait aux calculs les plus savants - ici la question de savoir si la glace malgré son épaisseur peut céder ou non sous le poids d’un corps. Pour avoir adoré la science et une intelligence artificielle plutôt qu’un dieu unique, le père paye le prix de sa propre filiation. La tâche d’encre d’un bleu vif - comme le regard du jeune homme inquisiteur - qui imbibe inexplicablement les documents du père n’en est que l’allégorie. Toute la séquence suivant la mort de Pavel et précédant la découverte de son corps est saisissante : les enfants croisés semblent subitement habités par une conscience supra-rationnelle. Comme s’ils comprenaient la mort ou pouvaient communiquer avec un au-delà - voir la petite fille étrange sonnant à la porte de l’appartement. À noter aussi le reflet de ce qui pourrait bien être le haut de la tête de Pavel dans la glace de la salle de bain, peu après l’épisode de la tâche d’encre. Sous ses faux airs conventionnels, cette amorce du Décalogue en nuances de blancs et de bleus en annonce toute la dynamique mystique adoptée par Kieslowski, désireux à la fois de passer au crible son pays, ses angoisses et ses refoulements, à l’aube d’une ère nouvelle alors encore incertaine. Ce cinéma atmosphérique et intimiste comporte une part d’onirisme évidente, qui confine même par moment au romanesque. Une nostalgie glacée et mélancolique dont l’ombre enserre d’ailleurs tous les épisodes du Décalogue.
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