L’amour et la violence
Le 30 octobre 2023
L’oncle Tim à la case départ...
- Réalisateur : Tim Burton
- Acteurs : Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Eva Green, Helena Bonham Carter, Christopher Lee, Michael Shannon, Jackie Earle Haley, Chloë Grace Moretz , Jonny Lee Miller, Lara Parker
- Genre : Comédie, Fantastique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 1h52mn
- Date télé : 28 octobre 2024 21:00
- Chaîne : TF1 Séries Films
- Date de sortie : 9 mai 2012
Résumé : En 1752, Joshua et Naomi Collins quittent Liverpool, en Angleterre, pour prendre la mer avec leur jeune fils Barnabas, et commencer une nouvelle vie en Amérique. Mais même un océan ne parvient pas à les éloigner de la terrible malédiction qui s’est abattue sur leur famille. Vingt années passent et Barnabas a le monde à ses pieds, ou du moins la ville de Collinsport, dans le Maine. Riche et puissant, c’est un séducteur invétéré… jusqu’à ce qu’il commette la grave erreur de briser le cœur d’Angelique Bouchard. C’est une sorcière, dans tous les sens du terme, qui lui jette un sort bien plus maléfique que la mort : celui d’être transformé en vampire et enterré vivant. Deux siècles plus tard, Barnabas est libéré de sa tombe par inadvertance et débarque en 1972 dans un monde totalement transformé…
Critique : De mémoire d’homme, on n’avait jamais vu le syndrome de la Tourette s’attaquer à une filmographie, même si celle de Roger Corman (qui a tourné huit adaptations de Poe en quatre ans) mériterait un dépistage. Reste que le grand mal des compulsifs a probablement infesté l’œuvre de Burton quelque part à la fin des années 90, poussant cette grande loutre hirsute à bégayer une série d’auto-parodies, aussi maîtrisée qu’une quinte de toux sans alarmer outre-mesure son généraliste. Parce qu’au lieu d’éternuer des insanités à la tronche des passants obliques, le papa de Pee Wee cultive des tocs bien particuliers : premièrement, et ce quel que soit le script, il lui faut longuement passer le visage de sa poupée Johnny D à la craie, avant de mettre un postiche à Madame (Helena Bonham Carter). Une fois ce boulot de direction artistique terminé, Burton appelle Christopher Lee et lui propose un caméo exceptionnel (cinq en treize ans). Ensuite, il s’intéresse un peu à son sujet. Si c’est une adaptation (Charlie et la chocolaterie, Alice), il faut en faire une relecture freudienne, la farcir de digressions pop cultivées, puis la laisser bouillir doucement sans surveiller la cuisson. Il est également possible de rajouter un peu de cynisme et un bon litre de vomissures numériques si l’ensemble est produit par Disney (il faut dire que Tim est toujours aussi sensible aux charmes obsolètes des bas de laine de sa vieille maîtresse). En revanche, si le sujet du film est quasi inédit, alors il vaut mieux verser dans le comico-morbide bâclé (Les noces funèbres, Sweeney Todd). Après tout, vous connaissez l’adage, ce sont les vieux singes qui font les meilleures soupes dans leurs vieilles cruches. Seulement voilà, si Dark Shadows, en collant parfaitement à ce cahier des charges, fait un peu figure de greatest hits des mauvais réflexes burtoniens, il est aussi le film le plus abouti de son auteur depuis Big Fish, voire Sleepy Hollow. Pour mieux comprendre cet étrange phénomène, plongeons dans le mystérieux bosquet qui coiffe le chef de l’oncle Tim.<
- Copyright Warner Bros France
Dark Shadows est, avant toute chose, l’adaptation d’un soap gothique de la fin des sixties, que ce téléphage notoire de Big T ourdissait en secret après s’être fait déposséder de La famille Addams par Barry Sonnenfeld en 1991. Fan de la série (qu’il faut être aujourd’hui inconscient ou critique pour supporter) et rejoint en cela par Michelle Pfeiffer et Johnny Depp (qui va jusqu’à coproduire l’objet), Burton se plante donc en pilleur de tombes cathodique, pour mieux réinvestir son sujet, avec toute la tyrannie d’un enfant roi. L’enjeu étant, à la manière des wannabe Robuchon que vous voyez défiler à longueur d’années dans les émissions de cuisine-réalité, d’anoblir le matériau original comme d’autres subliment les asperges. Rien d’étonnant, cela dit, pour un type qui a fait un film sur Ed Wood. Et puis, quand on a élevé le contraste au rang de religion artistique (le château et la banlieue d’Edward aux mains d’argent, par exemple), le contexte temporellement flou de Dark Shadows relève de la cour de récré pour épouvantails corrompus.
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Parce qu’il est un réalisateur à l’enfance proéminente, autant qu’un fanatique des films de la Hammer, Burton a certainement vu derrière ce remake l’occasion de s’essorer une nouvelle fois l’ego au-dessus du script, et de mettre sa pompe shakespearienne au service d’une évocation des seventies, qui l’ont vu pousser comme une mauvaise herbe. Impossible, en effet, de ne pas remarquer que l’ombre du despote infuse le personnage de Barnabas - étranger au siècle qui l’accueille – ou celui de ce petit médium spectrophile de Daniel Collins. En joyeux chantre de la tectonique des plaques, Tim n’aime rien tant que les télescopages de mondes inconjugués. Et pour donner le ton, le générique de Dark Shadows s’ouvre sur le Nights in White Satin des Moody Blues, au sortir d’une exposition ultra-romantique en plein XVIIIe. Le problème, c’est évidemment le torrent de vannes désespérantes que va déclencher ce parti pris. Puisqu’aucun script doctor ne semble avoir pris la peine de couper l’arrivée d’eau, Burton se vautre allègrement dans le gag à la Jean-Marie Poiré, poussant Johnny Depp à ouvrir la télé pour y débusquer une chanteuse ou parler aux bagnoles, comme si elles étaient des incarnations de Satan. Et s’il y a bien une chose qu’un mortel normalement constitué ne veut pas faire en regardant un film du créateur de Beetlejuice, c’est penser aux Visiteurs.
Bon, entre deux hommages involontaires autant que regrettables à la série Draculito et un doigt malencontreusement introduit dans le Dr Maboul, Barnabas nous arrache quelques rires bienvenus, lorsque le film exploite ses archaïsmes et ses particularités vampiriques comme un sale gosse. Au menu du guignol livide : des double sens aussi pénibles que jouissifs sur le mot « ball » lors d’un déjeuner familial (oui, ça veut aussi dire « bal »), une scène d’éploration sur la boite à rythmes d’un Bontempi, un sigle McDonald’s très mal interprété et toute une troupe de hippies enfumés, sur lesquels notre ami passe ses crocs. Quand l’humour de Dark Shadows se fait aussi classe que les décors monstrueux d’un manoir qui ne tranche jamais entre 1972 et 1770 (tout en faisant de chaque pièce le prolongement du personnage qui l’habite), Burton atteint des petits sommets paradoxaux qu’il n’avait pas conquis depuis un bail. Il était effectivement temps de se débarrasser du fond vert d’Alice, très cher Tim (nous saluons d’ailleurs le travail du chef décorateur Rick Heinrichs, un homme qui avait déjà œuvré sur Sleepy Hollow, par exemple, mais aussi sur le Big Lebowski des Coen).
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Généralement, la verve imperturbable de Dark Shadows brise les menus bâtons (hormis ce gros problème Poiré) qu’il se met dans les roues. Si le récit, dense et débraillé, peut-être à cause de sa structure de soap originelle, passe un peu vite sur les problématiques de certains personnages, trop souvent réduits à leurs fonctions (on pense notamment à celui de la prometteuse Bella Heatcote), la solidité de son ossature et l’impeccable démonstration des Depp, Pfeiffer et autres Eva Green font de la totalité du métrage un terreau assez fertile pour que Burton y fasse germer ses mauvaises graines de prédilection (la monstruosité, l’amour maudit, les relations filiales tronçonnées, l’innocence bafouée), sans jamais brider ses obsessions maladives et surtout, en se permettant d’ajouter quelques cordes torrides à un arc qu’on ne le pensait plus capable de bander. Libéré des symboles polis qui faisaient parfois de ses films un bac à sable pour apprentis analystes, le réalisateur nous envoie désormais des scènes nabokoviennes à peine voilées (bien aidé en cela par Chloé Moretz en Lolita indomptée), mais invente également le catch sexo-surnaturel avant de laisser sa propre épouse -dans le rôle d’une psy avinée- emboucher le sceptre du maître des lieux. Et voir un vampire s’abandonner en compagnie de Barry White, c’est quand même plus marrant que de regarder Robert Pattinson suçoter les lèvres de sa mie sur du néo-folk brooklynien.
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Mais puisque nous évoquons Twilight, à mots aussi couverts qu’Eva Green en sorcière nymphomane, et même si les intentions n’ont rien à voir, autant vous dire maintenant qu’en termes de fantastique mainstream et tout public, tonton Burton marque (ou remarque) un territoire qu’il n’aurait jamais dû quitter. Qu’on se passe le mot dans la savane, le vieux lion est de retour. Certes, sa crinière est une insulte aux paysagistes qualifiés, mais Tim a de nouveau le cadre ferme et l’inspiration bien placée. Plus ambitieuse, élégante et sereine que jamais, sa mise en scène se constelle de plongées masturbatoires, de flirts délicieux avec le plan interdit, mais aussi d’évidences et de mouvements d’appareil aussi gracieux que le drapé des robes spectrales qu’il accompagne en maniériste désuet autant qu’assumé (et on ne vous parle pas de l’incroyable escalade graphique du final). Avec Dark Shadows, Burton dépoussière cette intégrité rare qui nous ferait avaler n’importe quel travelling pompier, n’importe quelle composition d’aquarelliste amateur (d’ailleurs, la photo de Delbonnel, chef opérateur de Jeunet, est loin d’être irréprochable). Comme Spielberg, H. Bonham Carter jouit de l’immunité princière, celle qui autorise toutes les outrances au nom d’une Œuvre, une vraie. En cessant de s’imiter pour mieux, canal après canal, digue après digue, acheminer ses visions vers leur improbable aboutissement, Burton se réinscrit dans la lignée de ceux pour qui l’art est une terre meuble inlassablement retournée, et pas seulement un papillonnement récréatif. Ce monde ductile, toujours changeant et toujours identique, est chevillé au crâne et surtout aux yeux d’un auteur qui a cessé de s’imiter pour approfondir, voire recycler élégamment, son propos. Dark Shadows n’est pas le plus grand Burton, il n’est peut-être pas un grand Burton après tout, mais il a le goût des retrouvailles. Au moins, il ne se rend pas au cimetière comme on va à la mine.
– Sortie DVD & Blu-ray : le 10 octobre 2012
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Frédéric de Vençay 13 mai 2012
Dark Shadows - Tim Burton - critique
Burton fait du Burton, tournant en boucle sur son gramophone depuis une bonne quinzaine d’années ("Ed Wood" et "Mars Attacks" exceptés). Après le raté "Alice", le cru 2012 est plutôt bon, grâce à l’autodérision affichée du cinéaste (mais c’est aussi l’une de ses recettes les plus répétitives...) et de son acteur principal, vraiment excellent dans le costume et le phrasé de Barnabas Collins. Direction artistique impeccable, reconstitution 70’s savoureuse, casting étincelant : le label Burton, de toute façon, fait déjà la moitié du boulot. Divertissement de bonne facture, malgré un humour inégal et quelques baisses de régime, "Dark Shadows" ne saurait prétendre à autre chose cependant ; à moins que ses spectateurs ne tombent dans le panneau du "grand oeuvre" réalisé par un "Auteur" - trop souvent surestimé par ailleurs.
François Blet 13 mai 2012
Dark Shadows - Tim Burton - critique
Mais Burton est un auteur, avec tous les guillemets que ça implique. Si le
fait de filmer 50 fois le même monstre surmaquillé ne lui donnera jamais le lustre d’un Bergman, dont il se passe d’ailleurs très bien, son apport à la pop culture est fondamental. C’est un chevalier vanneur jamais adoubé, Dieu et Ed Wood l’en préservent.
roger w 30 juin 2012
Dark Shadows - Tim Burton - critique
Toujours sympathique, le nouveau Tim Burton trouve sa voie dans un humour décalé qui fait sourire, mais ne provoque pas de raz de marée de rires. Il cherche plutôt à creuser une vaine vaguement parodique. Le résultat est un film agréable à regarder, mais qui s’offre clairement comme une parenthèse récréative. Pas de quoi fouetter un chat, mais pas de quoi crier au loup non plus.
Frédéric Mignard 13 octobre 2012
Dark Shadows - Tim Burton - critique
Tour à tour agaçant et enthousiasmant, Dark Shadows séduit par son casting impeccable : des premiers rôles tonitruants, Johnny Depp s’amuse toujours autant, Eva Green est une sorcière exaltante, jusqu’aux seconds rôles lunaires, qui correspondent si bien à l’environnement de Tim Burton.
Par contre, niveau originalité, il est vrai que le maître du gothique pour grand public ne sait plus très bien comment s’y prendre pour se renouveler. Les décors travaillés à l’extrême rattrape comme toujours le coup...