La fin est le début : brillant CQFD !
Le 9 décembre 2022
Une série qui nous aura plongés dans les mécanismes d’une savante horlogerie de voyages dans le temps. Sophistiquée et hypnotique, voire trop, au point d’en perdre parfois le fil… qui se dénoue dans un final d’une limpidité ahurissante. Magistral.
- Série : DARK
- Réalisateur : Baran bo Odar
- Acteurs : Julika Jenkins, Louis Hofmann, Maja Schöne, Andreas Pietschmann, Lisa Vicari
- Genre : Science-fiction, Thriller
- Nationalité : Allemand
- : Netflix
- Durée : 8 épisodes de 49 à 77 minutes.
- VOD : NETFLIX
- Scénaristes : Baran bo Odar, Jantje Friese
- Date de sortie : 27 juin 2020
- Plus d'informations : Dark
L'ont vu
Veut la voir
Résumé : Au fil du temps, à Winden, une petite ville allemande, quatre familles cherchent des réponses et tombent sur un mystère impliquant trois générations qui finit par déstabiliser le temps.
Avertissement 1 : si vous n’avez vu ni la saison 1, ni la saison 2, avant de voir cette finale, vous pouvez lire notre critique des deux premières saisons (sans spoiler, en bas de cette page), mais vous devez surtout les voir et/ou revoir. Le résumé proposé sur YouTube ne vous éclairera pas et risquera plus de vous embrouiller. Avant d’écrire cette critique nous avons tout revu. Bien nous en a pris !
Avertissement 2 : cette seconde critique est également sans spoiler !
- Copyright Netflix - DR
Critique : En moins de deux saisons, Dark est devenue une des séries phares de Netflix, au même titre que Stranger Things ou Casa de Papel, par exemple. La série est allemande, et ses créateurs avaient annoncé qu’il n’y aurait que trois saisons. Compte tenu du furieux cliffhanger de la précédente saison et de l’imbroglio accumulé au cours des épisodes, inutile de vous dire qu’elle était plus qu’attendue par les fans ! Et à la rédaction, aussi.
Dès le premier épisode de cette saison finale, au bout de dix minutes, la zappette nous a échappé des mains : une adolescente se réveille et descend dans le séjour-cuisine. Elle dit bonjour à sa mère, taquine son petit frère scotché sur sa tablette, ouvre le frigo, prend du lait et s’installe pour petit-déjeuner. Tout est filmé en plan continu, en caméra flottante. Une sensation de « déjà-vu », comme le titre l’épisode, nous envahit. Et pour cause ! On repense aux dix premières minutes du tout premier épisode, avec son éblouissant plan-séquence dans un double living, où se croisent les membres d’une famille au petit-déjeuner. Ça va, ça vient entre canapé, table du séjour, salon, portes des deux pièces… le tournis ! Le petit dernier, fan de magie, fait un tour à son père qui est bluffé et lui demande comment il a fait. Le fiston de répondre : « Papa, la question ce n’est pas comment, la question c’est quand ? ».
Ah ? Une sensation de « déjà-lu » ? Oui, c’est l’avant dernier paragraphe de notre critique publiée il y a presque un an.
Dans l’hypothèse (peu probable) où vous seriez vierge sur cette série, nous rappelons qu’elle se déroule dans une ville d’Allemagne, Winden, où quatre familles sont prises dans les tourments de leurs présents, passés et futurs entremêlés par des voyages dans le temps. Comment voyagent-ils ? Nous ne le spoilerons pas car, une fois de plus, la question n’est pas comment, mais quand ? Non seulement c’est dit, mais en plus montré dès la première saison, qui s’ouvre sur une voix off expliquant que « la distinction entre le passé, le présent, le futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle. Hier, aujourd’hui et demain ne se succèdent pas, ils sont connectés dans un cycle sans fin. Tout est connecté ». À l’image, un plan large d’un mystérieux mur en béton, sur lequel sont punaisées des photos de femmes, hommes, enfants, notes, coupures de presse ou dessins, reliés par des fils.
- Copyright Netflix - DR
Encore une sensation de déjà-lu ? Oui, c’est, à quelques mots près, un des premiers paragraphe de notre précédente critique. Sauf qu’en démarrant cette troisième saison, la majeure partie de ces images ne nous est plus vraiment inconnue.
Vous suivez ? C’est pourtant simple : « le début est la fin et la fin est le début », comme le répète à l’envi certains personnages. Cette troisième saison étant annoncée comme « la fin », quel pourrait être alors le « début » ? À supposer qu’il puisse y en avoir un dans ce cycle sans fin ?
Dark provoque une sévère, mais agréable prise de tête pour le spectateur. D’autant plus que la série se fiche des apories propres au genre. Exemple : vous retournez dans le passé et tuez votre père avant votre naissance. Existez-vous alors ? Dans Retour vers le futur, Doc Brown évacue le problème avec une réponse simple et carrée : vous avez créé un nouvel espace-temps et vous êtes dans un autre univers. Dans Dark, non. Si un personnage x part dans le passé et y reste bloqué des années jusqu’à l’époque de son départ, alors il se verra. Autrement dit, x du présent pourra rencontrer son x du passé et aussi du futur. Cela sera notre vague spoiler, mais vous imaginez vite le bazar que cela va provoquer, surtout si un personnage modifie le cours des choses (1).
La première saison mettait en place la mécanique, chaque épisode apportant un engrenage à une brillante horlogerie narrative. C’était assez clair, malgré les nombreux personnages et chassés-croisés temporels. Et son dernier épisode s’achevait sur un cliffhanger rendant insupportable l’attente de la suite. Cette saison déployait une authentique marque de fabrique, par une qualité de production exceptionnelle, avec de nombreux décors, reconstitutions, et une réalisation ultra soignée par la lumière, la composition des cadres, les mouvements de caméra ou le montage. Sans oublier une interprétation quasi parfaite. Bref, un brillant puzzle hypnotique, à l’image du générique.
- Copyright Netflix
La deuxième saison continuait ce cycle en l’agrandissant temporellement, avec plus de va-et-vient dans une horlogerie devenant plus sophistiquée, au point de se gripper par moments. Sauf que la production avec de majestueux nouveaux décors et restitutions d’époques encore plus soignés, toujours portés par une réalisation sophistiquée, nous berçaient, et nous suivions les yeux fermés une galerie grandissante de personnages et d’embrouilles. Nous étions à nouveau hypnotisés, certainement encore par ce générique ! Sauf qu’avec un furieux twist final, rendant à nouveau très pénible l’attente de la dernière saison, le syndrome Lost semblait probablement se pointer à l’horizon.
L’enjeu, et donc le risque, des histoires de voyage dans le temps, est de trouver la pirouette satisfaisante pour se tirer des paradoxes dans lesquels on s’enfonce inexorablement. Généralement, on sort un galimatias à base de relativité d’Einstein, chat de Schrödinger ou autres trous de vers auxquels 99,9 % du public ne pige rien. Or, sans entrer dans de la mécanique quantique de café du commerce, la décision de rester dans un même espace-temps, et d’y plonger une trentaine de personnages, était pour Baran bo Odar et Jantje Friese, créateurs et showrunners de la série, le choix, ou risque, de fermer ces issues de secours. Ce qui n’empêche de les évoquer de façon ludique, histoire de nous faire comprendre qu’a priori, ils ne la joueront pas ainsi. Et de fait, le gros risque de conclure avec une résolution possiblement bancale, pis décevante et donc en syndrome Lost. Ou alors, auraient-ils absolument tout prévu dès la première ligne du script ? Partant, les deux premières saisons n’auraient été qu’enfumage, ou un diabolique puzzle dont ils poseraient l’ultime pièce, avant d’orienter le projecteur dessus et livrer une image limpide ? Si bien que la fin serait en fait le « vrai » pitch de départ, puisque la fin est le début. CQFD ! Tentant, non ? Oui, mais c’est quoi alors ce « pitch » ?
- Copyright Netflix
Cette ultime saison s’ouvre donc sur du « déjà-vu », mais d’une façon dont nous ne dirons rien, hormis qu’il s’agit, n’ayons pas peur du mot, d’une idée de génie sur le papier, car cela a dû être un enfer pour les décorateurs, accessoiristes, cadreurs et comédiens ! Et rien qu’avec cette trouvaille, la machine à hypnotiser se remet redoutablement en route et nous embarque immédiatement, selon la même recette : nouvel élargissement temporel et arrivée d’autres personnages, comme s’il n’y en avait pas déjà assez. Et de fait, on grimpe encore d’un cran sur le plan artistique et narratif, mais cette fois dans un registre qui devient, au fil des épisodes, de plus en plus onirique, tant dans la forme que le propos. Plus que dans les saisons précédentes, les réflexions philosophiques, mystiques et religieuses l’emportent, puisqu’a priori Einstein & Co ne semblent pas être de la partie. Contre toute attente, le récit se déroule dans une élégante clarté de complexité. Le spectateur qui a vu et gardé en mémoire les précédentes saisons (d’où notre avertissement préliminaire) découvre, parfois avec stupéfaction, des pièces du puzzle. Ainsi, des détails anodins d’épisodes passés prennent en un simple plan une importance capitale. On sent insidieusement que les créateurs avaient alors bien tout prévu dès la première minute de la série, et cela en devient presque jubilatoire. Alors, comment les auteurs « démontent » leur infernal axiome (2) : le début est la fin, et la fin est le début ? Sachez simplement que tout ceci est brillamment amené au cours des tous derniers épisodes qui brassent tout, oui, tout, dans un montage impressionnant nous guidant vers un final d’une éblouissante beauté, lourdement chargé d’émotion, et surtout d’une imparable limpidité. Même sur ce fichu générique qui va nous manquer.
Dans notre précédente critique, nous concluions en nous demandant si ce dernier volet rendrait l’ensemble limpide, et si la trilogie Dark entrerait dans l’histoire du genre, avec un traitement plus qu’inédit du voyage spatio-temporel ? Inutile de vous dire que la question ne se pose plus : série culte clairement, en devenir !
- Copyright Netflix
(1) Si vous revenez du passé et vous vous croisez, cela induit que vous vous êtes « créé » et avez donc augmenter la quantité de matière de l’univers, ce qui est impossible, car cette quantité dans « notre » univers est fixe depuis son origine. La chercheuse Leah Broussard travaille depuis quelques années sur une expérience de physique nucléaire qui prouverait l’existence d’univers parallèles. On vous laisse chercher sur Google…
(2) En mathématique, contrairement à un théorème, un axiome ne se démontre pas. Il est.
- Copyright Netflix
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.