Le 18 février 2005
Petite conversation avec l’auteur de Blankets et d’Un Américain en balade.
Petite conversation avec l’auteur de Blankets et d’Un Américain en balade.
Pour la sortie de son dernier album chez Casterman (Un Américain en balade) et surtout pour le prix de la critique reçu par Blankets, j’ai pu rencontrer Craig Thompson lors du Festival d’Angoulême. Cette rencontre a eu lieu sur le stand Casterman, le lendemain de la remise des prix.
Comme je m’étais trop pinté la veille, je ne savais pas que Craig avait eu son prix (je n’étais pas invité à la remise des prix, c’est leur faute, aussi...). Du coup, on n’en parlera pas de ce prix.
Dernière précision, même si Craig Thompson sait un peu baragouiner le français, l’interview s’est passée en anglais que je possède parfaitement, quoi qu’avec un léger accent du Pays de Galles. Après les salutations d’usage, l’interview commence.
C’est votre première fois à Angoulême ?
Non, j’étais venu la première fois il y a quatre ans, à l’époque je cherchais un éditeur pour Good bye Chunkie Rice, j’avais vu Delcourt et quelques autres mais personne n’en avait voulu.
Ce livre, le premier traduit en français a finalement été édité par lui, comment cela s’est-il passé ?
En fait, comme je le disais, personne n’en voulait, alors, quand je suis repassé à Paris, mon ami Valéry, qui travaille à la Comète de Carthage m’a présenté un éditeur qui était intéressé et qui me plaisait beaucoup. Le problème est que, quand je suis rentré aux Etats-Unis, Top Shelf Comics, mon éditeur américain, avait trouvé un autre éditeur français que j’aimais moins. Puis Guy Delcourt a appelé et dit que, finalement, il voulait le faire alors on a coupé la poire en deux et on l’a fait avec le troisième larron.
Vous aviez gagné un Eisner Award d’ailleurs pour ce livre ?
Oui, Chunkie Rice a gagné le prix du meilleur premier album en 1991.
Pourquoi avoir choisi le français pour votre traduction ?
Quand j’ai souhaité que mon livre soit traduit, j’ai spontanément choisi le français, parce que la France me paraissait l’endroit où la bande dessinée était le plus respectée et populaire, après le Japon. Comme je ne faisais pas de manga... Je suis venu à Angoulême.
Quelle différence entre le public américain et le public français ?
Le public français est plus ouvert a une bande dessinée d’auteur que le public américain, qui, dans sa grande majorité, lit surtout des aventures de super-héros. Cela dit, grâce aux succès de graphic novels comme From hell [1], le public américain est en train de s’ouvrir et de changer.
Maintenant, vous êtes un auteur internationalement reconnu, vous parlez dans votre dernier ouvrage Un Américain en balade de votre éditeur espagnol... En combien de langues êtes-vous traduit ?
Mes livres ont été édités en dix langues, en plus de l’anglais, dont le japonais, le coréen ou le flamand.
A propos de ce livre, Un Américain en balade, il s’agit d’un carnet de voyage. Etait il pensé comme un livre destiné à être édité dès le départ ?
Oui, c’était un projet personnel que j’ai proposé à Casterman, l’éditeur de Blankets. Il ne s’agissait pas d’un carnet de croquis, mais plutôt d’un livre intégrant de la narration. Dès le début, je souhaitais raconter mon trajet, comme je l’aurais fait dans une bande dessinée classique.
Concernant la première partie de votre livre, qui se passe essentiellement au Maroc, vous semblez très déstabilisé par ce voyage, notamment par le choc avec la culture marocaine. Et même lors du reste de votre tournée en Europe, vous vous plaignez souvent d’être loin de chez vous, d’être malheureux...
Si effectivement ce voyage semble avoir été difficile pour moi, ce n’est pas à cause du mal du pays, ou d’une inadéquation avec les cultures locales. En fait, je crois que le vrai problème vient de moi : je ne supporte pas de voyager seul, ça me rend triste.
Voyager seul peut pourtant être exaltant...
Tout à fait, j’ai rencontré en cours de route un autre Américain qui lui profitait de son trajet solitaire pour rencontrer des gens et faire un maximum d’activités, mais moi, je dois avouer que j’allais plutôt m’enfermer dans ma chambre dès que je n’en pouvais plus. Pourtant j’aime voyager, j’aime l’idée de s’ouvrir à d’autres cultures, j’aime faire de nouvelles expériences et casser la routine. La solitude ne me dérange pas non plus, à Portland, chez moi, j’adore avoir des moments de solitude et d’intimité. En fait, je crois que c’est cela qui me dérange dans le fait de voyager seul : l’absence d’intimité quotidienne.
Concernant la seconde partie du livre, elle traite beaucoup de l’aspect promotionnel de la vie d’un auteur : les dédicaces, les ex-libris, les interview... comment vivez vous cela ?
Bien sûr, une partie de moi trouve cela ridicule et embarrassant, mais vous savez, je crois que c’est tout de même une nécessité, un peu comme un groupe de rock doit faire des tournées pour vendre des albums, l’auteur de bande dessinée doit aussi faire sa part dans la vente de l’album, et ça passe beaucoup par les séances de dédicaces. Et comme je trouve qu’au fond, c’est normal, je m’y plie.
Au cours de cette tournée vous séjournez chez tout ce que la France compte d’auteurs tendance nouvelle vague, Blutch, Lewis, Trondheim, David B... Comment connaissez vous toutes ces personnalités ?
C’est grâce à Lewis. Je l’ai rencontré en 1991, lors de son voyage aux Etats-Unis, lorsqu’il est passé à Portland, chez moi, en Oregon. Il m’a dit alors de passer le voir si je venais en France, alors, en 1994, quand je suis venu démarcher les éditeurs, il m’a présenté toute la bande gravitant autour de l’Association, et voilà comment j’ai rencontré tous ces auteurs. Du coup, lors de ma tournée, certains m’ont abrité quand je passais dans leur région.
Pour revenir sur l’ensemble de votre œuvre, il y a une grande part d’autobiographie qui tourne essentiellement autour des sentiments. Comment gérez-vous la part de l’intime que vous donnez au public ?
Je suis très, très pudique vis-à-vis de cela et notamment des femmes que j’aime. C’est très délicat et je fais toujours très attention quand je parle d’une fille que j’aime. C’est un aspect très embarrassant de mon travail.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille en ce moment sur une histoire qui sera une sorte de conte des mille et une nuits qui se passera dans le milieu de l’aérobic. Cela s’appellera Habibi.
Enfin, Craig Thompson, êtes-vous finalement heureux ?
Actuellement, je suis plus heureux que je ne l’ai été depuis longtemps.
Photo © Patrice Diaz
[1] De Eddie Campbell et Alan Moore, édité en France par Delcourt (2000)
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