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Le 29 novembre 2005


Après Correspondance à trois, avec Rilke, voici les lettres échangées par Tsvetaeva et Pasternak entre 1922 et 1936. Toujours aussi indispensable !
Après Correspondance à trois [1], avec Rilke, voici les lettres échangées par Tsvetaeva et Pasternak entre 1922 et 1936. Toujours aussi indispensable !
A Berlin, à Weimar sur les traces de Goethe, en Suisse sur celles de Rilke, à Paris, enfin, pour un tête-à-tête furtif, une "non-rencontre", la passion entre Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak a vécu au rythme des rendez-vous manqués. Elle restera épistolaire. En tout cas dans ce monde-ci... Dans l’autre (les autres ?), sans doute tout autant, tant la rupture, propre à chaque couple fusionnel, a consumé leur amour avec une force au moins aussi érosive que la banalité du quotidien : l’absence. Au début, comme un coup de foudre, elle les a nourris. Admiration réciproque pour leur génie poétique, "leur talent", ils ont cru voir dans l’autre un double, un complément, une âme commune. Ensuite, baiser langoureux de deux amants adultères, d’abord Tsvetaeva puis Pasternak, le passage du "vous" au "tu". A partir de là arrivent les étreintes verbales sans retenue, les déclarations sans concession, l’explosion du désir qui ne se soucie guère de maris, de femmes ou d’enfants même s’ils n’ont que quelques jours... Dans une lettre où Tsvetaeva annonce la naissance de son fils (Serge Efron, son conjoint, en étant le père) : "Je suis une vouvoyeuse, mais voilà qu’avec vous, avec toi - c’est le tu, irrépressible, qui se presse, mon grand frère ! Tu m’es cher et mien de part en part, aussi atrocement et effroyablement que je le suis à moi-même [...] Et quand je pense à l’heure de ma mort, je pense à chaque fois : qui ? quelle main ? Et : rien que la tienne !"
Cette tension amoureuse suffirait à elle seule à susciter une attente, à entretenir une fièvre permettant d’aller d’une lettre à une autre, deux cents au total sans compter les brouillons ! Car ici les pages brûlent ! Elles brûlent surtout parce qu’elles sont le produit, la sève, d’un grand et d’un immense écrivain. D’un côté Pasternak (le grand) qui se cherche une voix, oscillant entre le ton professoral, la description et l’emphase. Conscient, peut-être, de son infériorité, il finit par s’éloigner... De l’autre Tsvetaeva (l’immense), un bloc, un style, un rythme, une musique immuable, une capacité à se soustraire à toutes les contingences, une liberté absolue, une logique personnelle et vertigineuse. Pas seulement, donc, un don total de soi, pas seulement une capacité à passer du particulier (la mer, la montagne, les arbres, les mots, les choses, les gens) à l’universel, pas seulement non plus cette "objectivité" dont parle Pasternak mais, comme Joyce, une originalité ouvrant des voies immenses à ceux qui aiment lire, à ceux qui veulent écrire. D’ailleurs peut-on décemment écrire sans les avoir lus ?
Marina Tsvetaeva/Boris Pasternak, Correspondance 1922-1936 (traduit du russe par Eveline Amoursky et Luba Jurgensen), Editions des Syrtes, 2005, 680 pages, 38 €
[1] Gallimard, 1983