Le 16 mai 2021
Si l’effondrement de nos sociétés devient un sujet de plus en plus prisé dans les réflexions occidentales et dans la création, on imagine rarement la disparition totale de toute une civilisation. En résonance avec les grands enjeux contemporains, on se demande si la fiction ne risque pas de se confondre avec le réel. Republié dans la fascinante collection "Dyschroniques" des éditions Le Passager clandestin, ce court récit nous interpelle forcément sur notre époque.
- Auteur : Norman Spinrad
- Collection : Dyschroniques
- Editeur : le passager clandestin
- Genre : Science-fiction
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Nathalie Dudon
- Titre original : The lost continent
- Date de sortie : 1er mai 2021
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Mike Ryan, guide touristique dans l’ancien New-York, accompagne un groupe d’Africains dans les vestiges nord-américains. Les Africains sont désormais les dominants du monde, 200 ans après « la Grande Panique » du XXème siècle. Ils ont du mal à comprendre comment cette civilisation a pu autrefois dominer le monde, ce qui irrite prodigieusement leur guide autochtone.
Critique : On serait tenté de percevoir l’œuvre comme visionnaire, mais ce serait sans doute présomptueux : si les thèmes abordés dans ce court roman publié en 1970 paraissent plus que jamais actuels, c’est bien parce que nous le lisons en 2021. Le récit évoque un air est devenu tellement irrespirable aux États-Unis que le continent n’est plus habitable à la surface. Le tourisme y est autorisé, pour contempler les vestiges de cette société perdue.
La question de la qualité de l’air est certes une dérive du productivisme américain, mais la prise de conscience des années 1970 était si faible que la thématique de l’écologie n’est traitée le plus souvent que dans la littérature de science-fiction (cf. Soleil Vert ou La Planète des singes). On redécouvre alors tout l’intérêt de ce genre, longtemps cantonné à une « sous-littérature », alors qu’elle regorge de réflexions philosophiques, sociétales et scientifiques tout à fait abondantes et pertinentes.
L’auteur parvient à mêler dans son écriture les images d’une mégalopole en ruines, dévastée et fascinante, avec des questions prégnantes dans la société américaine : le racisme envers les Noirs, le règne du divertissement, la course à l’innovation. En effet, si le continent africain est désormais maître du monde, le racisme n’en demeure pas moins une question centrale : les Blancs sont devenus misérables. Pour autant, deviennent-ils méprisables ? Leur société contemporaine est beaucoup moins ingénieuse, ce qui fait à la fois la fierté du guide et la gêne des Africains. Comment comprendre une communauté qui a pu organiser le chaos et sa propre destruction ?
Norman Spinrad raconte avec talent, à travers une brève visite touristique de ce qui fut autrefois New York, la fin de la civilisation américaine, de ses conquêtes, de ses espoirs et de ses idéaux. Dans son hélicoptère, il tente d’impressionner ses passagers en leur montrant les grandes prouesses de l’ingénierie du XXème siècle, la maîtrise de l’Homme sur son environnement, la beauté déchue du grouillement des villes. Les touristes africains sont partagé entre admiration et incompréhension : certes, l’esprit de cette civilisation semble spectaculaire, mais à quoi bon tout ceci ? En utilisant ainsi l’étonnement de ses personnages, l’auteur semble prôner la décroissance, comme un avertissement à l’encontre de ses contemporains et ce réflexe totalement humain d’en désirer toujours plus.
Il subsiste pourtant des métroglodytes, derniers Hommes de cet âge perdu, emmurés dans le métro new-yorkais, se contentant de poursuivre une morne existence. La rencontre avec ces habitants autrefois si puissants reste un épisode profondément marquant du livre, de même que l’expérience qu’ils vivront sous la surface.
La spécificité de la nouvelle tient au fait que ce monde du futur n’est pas apocalyptique. La planète Terre reste habitable. Simplement, la population n’est plus la même. L’auteur insuffle dans son récit un vent d’optimisme, tout en dépeignant la fin du règne américain. Au final, Mike Ryan et son groupe aspirent au même souhait : une vie simple, respirable, sans luttes de pouvoir ou de domination. Le héros est en quelque sort un Candide du futur.
Il faut souligner le remarquable travail d’édition de cet ouvrage, qui offre une préface écrite en mars 2021 par l’auteur, évoque le contexte de la parution et enfin encourage le lecteur à aller au-delà de sa lecture à travers des conseils littéraires ou cinématographiques. Un enrichissement tout à fait appréciable.
144 pages
8€ /5,49€ en EPUB/PDF
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