Le 3 novembre 2018
Sans doute le meilleur livre qu’on ait écrit sur Coluche. Une passionnante immersion dans la candidature du célèbre trublion, éclairée par une approche sociologique.
- Acteur : Coluche
- Auteur : Marie Duret-Pujol
- Editeur : Editions Le Bord de l’Eau
- Genre : Humour
- Date de sortie : 10 novembre 2018
- Plus d'informations : Le site officiel
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Parution : 10/11/2018
Résumé : Octobre 1980 : Coluche annonce qu’il est candidat à la présidence de la République et lance son « appel historique ». Novembre 1980 : des comités de soutien se forment dans toute la France, de nombreux articles de presse paraissent, les professionnel.le.s de la politique sont contraint.e.s de se prononcer sur la candidature, et plusieurs sondages le créditent de plus de 10 % d’intentions de vote. Les insultes pleuvent : Coluche est accusé de dégrader la fonction présidentielle et sa candidature est qualifiée d’« injure aux Français » et de « honte pour la démocratie ». Alors que Coluche est un comédien-vedette et qu’il ne s’est jamais affiché comme un homme politique, comment parvient-il à convaincre que sa candidature est sérieuse ? Pourquoi cette annonce suscite-t-elle autant de réactions de soutien et de rejet ? Et si le candidat Coluche avait été sur le point d’accomplir une révolution ?
Notre avis : Qu’on ne se méprenne pas : le titre de ce formidable travail universitaire, loin de s’en prendre à Coluche, livre la clef de son art. En effet, l’humoriste incarna si bien sur scène les défauts de ses contemporains, sans s’abstraire lui-même de cette critique sociale, que sa candidature à l’élection présidentielle, très mal comprise, complaisamment évoquée aujourd’hui par ceux-là mêmes qui tremblèrent sur leurs bases à l’automne 80 (donc, un certain nombre de médias), semble l’aboutissement d’un véritable cheminement artistique. Là où la doxa ne voit qu’une rupture, l’énorme blague d’une célébrité, dans la continuité orthodoxique des bouffons du roi, Marie Duret-Pujol contextualise l’incursion politique du comédien à travers un mouvement plus général, qui remonte aux origines de l’humour coluchien, ses premiers pas au Café de la Gare avec Bouteille, Dewaere, Miou-Miou, Sotha, Guybet, jusqu’au dernier spectacle de l’humoriste au théâtre du Gymnase. Et c’est passionnant, parce que Duret-Pujol reprend chaque sketch, met en perspective thématiques, intentions comiques, effets de scène, corrèle la diversification des interventions de Coluche dans l’espace médiatique avec les inflexions données à ses représentations.
LES MEILLEURS FILMS DE COLUCHE
Après avoir incarné une diversité de figures qui réfère à des catégories sociologiques déterminées (policiers, petits commerçants, chômeurs...), après avoir mis en scène les effets de la domination à la fois sur les agents de l’ordre établi (dans "Le flic", "Le CRS arabe") et sur les relégués de la société (le blouson noir dans le sketch éponyme, le guitariste contestataire de "Misère" et tant d’autres), Coluche fait évoluer ses spectacles vers le stand-up, en abandonnant le truchement du personnage fictionnalisé, pour évoquer la réalité sociale du monde, en son propre nom. A l’orée des années 80, le changement se cristallise dans des sketchs plus pédagogiques qui élargissent la perspective. De nouveaux thèmes émergent : la psychanalyse dans "Si j’ai bien tout lu Freud", l’autobiographie professionnelle dans "Fâché avec tout le monde", par exemple. Quant à la revue de presse, que Coluche va systématiser, elle détermine une volonté d’en découdre plus directement avec les causes du malaise social, ce que confirment les premières incursions de l’humoriste à la radio, où il se livre quotidiennement à l’exercice du commentaire d’actualité. Dès lors, il apparaît logique que, convergeant vers un réquisitoire de plus en plus frontal de la société, ses interventions médiatiques lui donnent l’idée de s’immiscer dans l’élection présidentielle à venir et de le faire en représentant la diaspora des cons, " tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques". Beaucoup se reconnaîtront encore dans la France de 2018.
Les gens qui n’étaient pas nés ou pas assez vieux pour s’en souvenir s’immergeront avec bonheur dans les extraits d’articles, les commentaires d’hommes politiques, les interventions de journalistes à la télévision, que Marie Duret-Pujol a constitués en tant que corpus cohérent, à partir duquel elle privilégie une approche très juste, conforme à l’une des intentions de Coluche, pour montrer que la fausse neutralité du monde politico-médiatique définit les fondements d’un simulacre de démocratie, dont la candidature d’un "non-professionnel" n’est que le révélateur. Comme le résumera le madré Jacques Séguéla dans un mémorable Droit de réponse, deux ans plus tard, le trublion a tendu à la France "le miroir qui l’a fait réfléchir". Depuis, on ne peut pas dire que ces cogitations aient globalement exhorté le champ politique à renoncer à ses vieux principes de reproduction des élites, fondée sur la cooptation des pairs.
En tout cas, à l’époque, s’il n’y a pas eu de complot pour éliminer l’histrion, un grand nombre de journalistes et de représentants des partis traditionnels ont tout fait pour discréditer sa candidature : pressions psychologiques, calomnies, censures ont émaillé cette séquence, révélant -pour le moins- une fébrilité des institutions à l’idée que le jeu politique soit perverti par la présence d’un rigolo, qu’on s’empressa de ramener à sa case initiale : celle du spectacle, du divertissement. On connaît la suite : Mitterrand fut élu, auquel l’humoriste apporta son soutien, sans être dupe.
Les dernières lignes de l’ouvrage résument fort justement la permanence d’un déterminisme contre lequel Coluche a tenté de lutter, sa vie durant : "La force du social triomphe, celle qui travaille à légitimer sans cesse l’ordre établi à délégitimer celles et ceux qui prétendre le remettre en cause".
Parution : 11-11-2018
Editions Le Bord de l’Eau
265 pages
16,5x23cm
- Copyright Pascal Pavani /AFP
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