On pense à Kerouac, évidemment, qui a tracé le chemin à tous les routards de la plume, puis à Naipaul et sa Virée dans le sud, les yeux grands ouverts au monde. Laferrière évoque d’ailleurs volontiers tous ceux dont il a suivi les traces. Car une fois de plus, il va nous parler de l’Amérique ! La vraie, la profonde, celle du mythe. Celle qui est dans la tête de tout immigrant, celle de la vitrine, celle qui fait croire que tout est possible, que le rêve est à la portée de tous. C’est derrière ce rêve que Laferrière va tailler la route, débusquer le mythe et son revers, au fil des rencontres, des scènes de rue, des morceaux de vie. Parce que le rêve, il y a ceux qui sont dedans, et ceux qui regardent. Et c’est pas pareil !

Et le Nègre, dans tout ça... C’est le côté noir du mythe que Laferrière va disséquer, malmener, très loin des clivages raciaux et des revendications ethniques. C’est le retour à l’individu, à son histoire, à la fois banale et exemplaire. Le regard se pose, juste, amer, ironique, et surtout très politiquement incorrect sur quelques sombres reflets du rêve américain. Le sudisme paternaliste de Faulkner, le militantisme sans concessions de Spike Lee, la détresse de Basquiat, la lucidité de Baldwin. Et puis au-dessus de tout ça, balayant toute rationalité, il y a l’incarnation, la transcendance du mythe : la Blonde ! "Un des phantasmes les plus puissants de l’Amérique", avec son pendant, le Nègre a-t-il accès à la Blonde ?

Tendre, mordant, ironique, toujours lucide, souvent désabusé, Laferrière nous sert l’Amérique dans ses certitudes et ses contradictions, au gré de ses coups de coeur, coups de gueule, et au loin, la voix sombre et terrible de Billie Holiday... Strange fruits.