"Pourquoi arrêtons-nous les mots à leurs petites odeurs de truffes sans descendre dans leurs charniers ?" La question posée par Antonin Artaud reste toujours aussi intensément d’actualité à l’heure où le déroulé mécanique de syntaxes simplistes inonde de sa morgue si banale les rayons des libraires. Ne nous lamentons point trop néanmoins, chaque rentrée littéraire recèle sous son fatras de pages éminemment commerciales de jolis bijoux qui nous enchantent tant par la grâce de leur verbe que l’originalité de leurs propos.

Nous vous avions déjà parlé ici-même d’auteurs au talent rare comme Pierre Senges, nous nous ferons prochainement l’écho d’autres tels que Christian Ganachaud mais nous ne pouvions omettre dans le descriptif des joyaux de la couronne, le magistral Certainement pas de Chloé Delaume, orfèvre de la prose. Tel un compagnon chevronné, cette écrivaine se révèle en effet une ciseleuse de mots qu’elle travaille au forceps afin d’en extirper toute la gamme des saveurs, des plus douces aux plus amères, en leur faisant cracher leur diabolique vocation : nous faire vivre intensément.

Certainement pas n’est ainsi pas uniquement un livre merveilleusement bien écrit, ce qui, en passant, devrait être une évidence pour tout texte passé sous les fourches caudines d’un éditeur de qualité. C’est également un roman dont la structure créative nous change des habituels récits linéaires puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’une partie de Cluedo narrative. Rappelez-vous, le Colonel Moutarde, le Professeur Violet, Madame Pervenche et j’en passe ! Six suspects d’un crime, six armes et neuf lieux.

Ces six personnages de fiction sont en vérité reclus dans un pavillon de l’hôpital Sainte-Anne et sont accusés d’avoir tué leur conscience à force de compromissions et petites lâchetés en tout genre. De l’homme d’affaires jouant avec le petit personnel au jeune écrivain ambitieux prêt à renier ses idéaux littéraires pour accéder au sommet du germanopratisme, chacun défile à la barre et affronte son destin.

La langue danse, joli menuet ; court, pas saccadés ; virevolte, hébétée, selon l’univers de chacun des personnages agités telles des marionnettes par une narratrice omnisciente qui finit elle-même par s’avérer manipulée.
Le tout est saupoudré d’une ironie délicieusement méchante envers nos congénères, qu’ils soient auteurs à la mode, bobos ou "plumitivos-journaleux", sans que Chloé Delaume n’ait omis de manier avec humour l’autodérision au gré des apparitions d’un lointain clone dénommé Clotilde Mélisse. C’est féroce, drôle et diablement intelligent. En un mot, magistral !