Doté d’un pinceau et d’un infini talent, Jérôme Bosch traçait en un seul tableau une ligne entre l’agitation misérable de la terre et la quiétude du ciel. Six siècles après l’œuvre du maître flamand, Christian Ganachaud marche sur les traces de ces artistes en quête d’absolu qui ont marqué notre imaginaire avec, pour armes, un stylo et l’usage flamboyant du verbe. Son dernier roman, Les aventures des frères Ganache à la recherche de Dieu, s’inscrit dans la logique d’une œuvre d’ores et déjà bien avancée.

L’un est bossu, l’autre unijambiste. Handicapés et un peu simplets, les frères Ganache passent leurs journées à faire du rodéo en tracteur pour l’un et dompter les microbes pour l’autre. Ces apparents demeurés n’hésitent pourtant pas à remuer ciel et terre le jour où leur père mourant réclame à son chevet Dieu en personne. "« Je veux voir Dieu avant de mourir », dit le vieux en agrippant la gorge de mon frère, le buste suspendu entre son lit de mort et le cou de poulet du frangin, attendant une réponse les yeux exorbités et rouges comme une mouette dans un crépuscule halluciné. Mon frère déglutit : « Voir Dieu ? Pas de problème »"...

Mais la recherche du Tout-Puissant n’est pas chose facile, même dans un petit village de cent trente-deux habitants comme Clou, capitale du caillou. Dieu est amour ? Tatiana, la fille de joie n’est pas pourtant pas la bonne personne. Dieu est-il le grand architecte ? Celui de Clou ne fait pas l’affaire. Et si le spirituel se cachait derrière ces objets que les émissions de télé-achat du matin s’emploient à magnifier ? Les frères Ganache mettent Clou à feu et à sang au fil de leurs pérégrinations mais un avis de recherche, l’aide du corbeau du village et même le curé de la paroisse ne suffisent pas à les aider. Ils parviennent néanmoins à détourner les habitants du village de leurs petites occupations terriennes pour les entraîner dans leur folle quête du spirituel.

A l’instar des personnages de Bosch, on imagine les frères Ganache dotés d’incroyables trognes mais derrière le visage de ces pauvres hères se cachent des âmes pures dont le paysage intérieur est brossé en quelques traits par Ganachaud. A la compassion s’ajoute un humour féroce accompagné de dessins et de jeux d’enfants. Le style est concis et le ton suffisamment burlesque pour faire de cette satire déjantée de notre condition humaine, un livre à la portée de tous. "Mais derrière les mots se cache quelque chose d’énorme. [...] Comme si on prenait un mot et qu’on voyait l’univers à travers un télescope." Une imagination éclairée et un souffle ravageur font de ce roman d’une centaine de pages une œuvre rare que l’on souhaiterait partager avec le plus grand nombre.