Où mener sa vie ? Quels chemins suivre ? La question taraude Cees Nooteboom, qui a passé une bonne partie de ses 70 années en pérégrin. Et qui, habitant aujourd’hui entre les Pays-Bas et l’Espagne, ne semble pas prêt de s’arrêter. Herman Mussert, l’ancien professeur de lettres classiques de L’histoire suivante, se trouve, lui, en bout de course. L’enchantement de sa dernière nuit l’a posé dans un hôtel de Lisbonne, où il se réveille avec l’agréable sensation d’être mort. Ultime escale avant le grand voyage à bord d’un bateau qui le conduira, avec d’autres partants, vers un Ouest mystérieux. Plus besoin alors, comme il le faisait devant ses élèves, d’interpréter le rôle de Socrate avant de boire la ciguë : Mussert ne joue plus. C’est sa vie à lui qui défile, Ovide et le latin qui l’avaient remplie jusque-là se trouvant soudainement éclipsés par l’ombre d’une jeune fille aimée.

L’histoire suivante pourrait être triste. Elle est fraîche et joyeuse. Mussert s’en va léger, nullement résigné, mais pas certain non plus de retrouver son amour dans ce nouvel ailleurs. Il quitte ce monde et c’est tout. L’essentiel, avait-il dit plus tôt, étant de "penser l’immortalité". Pas qu’elle existe. La mort est là aussi dans Rituels. Deux fois même : celle d’Arnold et de Philip Taads, père et fils qui ne se sont jamais connus. Tous deux enfermés dans leur "solitude fanatique", ayant divisé le temps pour mieux le contrôler et retarder leur suicide. A la fois entre eux et à l’opposé d’eux se trouve Inni Wintrop, dilettante en tout, picorant la vie, ouvert à tous les possibles. Même s’il sait qu’il finira comme les Taads.

Sur ces deux façons de vivre, Nooteboom, que l’on devine dans Inni, ne porte aucun jugement. L’important, face à la vie, est d’être cohérent. Reste que cette histoire, sans Wintrop, aurait vite fait de nous étouffer. La façon qu’a Inni de considérer "la vie comme un club un peu bizarre dont il était devenu membre par hasard et dont on pouvait être radié sans explication", sa faculté d’être dans le monde sans chercher à l’alourdir, sa curiosité, son humour donnent son ton à ce roman placé, entre autres, sous le signe de Cioran : "Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n’est malheureusement à la portée de personne."