Le 13 janvier 2021
Grâce à cette plongée dans la musique populaire et les partitions classiques, Kjell Westö évoque aussi les tragédies personnelles si communes et les drames mondiaux. Deux solitudes fusionnent sous le doux soleil finlandais.


- Auteur : Kjell Westö
- Editeur : Autrement
- Genre : Roman
- Nationalité : Finlandaise
- Traducteur : Anna Gibson
- Date de sortie : 13 janvier 2021
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur

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Résumé : C’est à l’écart des bruits du monde, sur une île de l’archipel d’Helsinki, que le célèbre chef d’orchestre Thomas Brander choisit de se faire construire une somptueuse résidence secondaire : la Casa Triton. Triton ou « intervalle du diable », une harmonie de notes si dissonante qu’elle fut autrefois interdite… Rompu à l’exercice des tournées internationales, Brander fait la connaissance de son voisin Reinar Lindell, guitariste sans talent hanté par la perte de sa femme adorée. Mais tandis qu’ils s’apprivoisent, leurs différences et leur douleur se font aussi plus prégnantes. Et, derrière la façade distante du grand chef d’orchestre, derrière la chaleur et la sollicitude du guitariste, les hommes luttent en silence contre le passé.
Critique : Hommage à toutes les musiques, Casa Triton est aussi un roman psychologique d’aujourd’hui. Le lecteur y découvre le « monde d’après », l’auteur amenant par petites touches des réflexions sur la Terre et sur ses drames humains. L’histoire de Brander, chef d’orchestre connu et célébré à travers le monde, fait écho à celle de Lindell, guitariste dans un groupe de reprises de musique populaire. Les deux hommes se découvrent peu à peu, alors que Brander s’installe et prend ses marques dans la demeure monumentale qu’il a fait construire à Ravais, voisine de la bicoque de Lindell, léchées par les vagues. Entre bois et mer, les deux maisons semblent seules face au monde, mais les personnages secondaires, venant surtout de Ravais, le village le plus proche, rappellent à Brander que vivre en société est encore possible. Lui qui n’existait que dans les hautes sphères de la musique, côtoyant chefs d’orchestres et instrumentistes de renom, redescend sur Terre au contact des gens simples de cet archipel finlandais et de leurs problèmes. Il échange avec les membres de Rainbow, discute avec Lindell, veuf depuis peu, et découvre les soucis locaux, il réchauffe son âme, racornie et aigrie par l’isolement humain et la frustration de perdre son ascendant sur la scène musicale classique.
Entre Mahler et Adèle, « Fisherman’s Blues » et l’adagio pour clarinette de Mozart, le lecteur voyage dans un monde fait de sons et de mélodies, de souvenirs qui se mêlent au présent. Kjell Westö, avec beaucoup de finesse, aborde ainsi aussi bien des drames mondiaux – le lent mais inéluctable changement climatique, la montée des extrémismes, #MeToo – que des tragédies plus personnelles – la rupture, l’isolement, le vieillissement, le deuil. La plume de l’auteur se prête toujours aussi bien aux paysages lunaires des pays nordiques, au soleil qui effleure la cime des pins et les crêtes d’écume. Les adeptes de cette figure majeure de la littérature finlandaise s’amuseront d’ailleurs de retrouver des allusions à son précédent roman, Nos souvenirs sont des fragments de rêves. Point de narration à la première personne ici, mais une plongée dans les pensées des deux héros, si aboutie que l’intimité qui se crée entre le lecteur et le personnage homodiégétique naît malgré tout. Aussi visuel que sonore, Casa Triton est un récit à deux voix, les deux protagonistes se répondant, leurs atermoiements se faisant écho un chapitre après l’autre, leurs deux solitudes fusionnant en arpèges délicates et maîtrisées.
Kjell Westö - Casa Triton
Autrement
480 pages
146 x 221 mm
22,90 euros