Capitaines courageux - la critique du film

Notre avis : Il faut, pour aborder Capitaines courageux, laisser de côté son cynisme postmoderne et retrouver une âme d’enfant naïve. À ce prix, embarquer avec Harvey, gamin aussi riche que capricieux, est un vrai plaisir, légèrement désuet, mais digne et honnête. On suit d’abord le garçon dans son quotidien, le temps pour Fleming de le rendre insupportable : chez lui, il traite les domestiques par le plus profond mépris ; à l’école, il ruse, ment, tente d’acheter un professeur. Le parfait tyran bouffi d’orgueil, mais dont on comprend vite, et ce sera explicite plus tard, que son veuf de père n’a pas vraiment le temps de s’occuper de lui. Cette faille, effleurée au début, va fonder le rapport qu’il entretient avec un père d’adoption, Manuel, humble pêcheur qui le sauve quand il tombe du bateau de son père.
Le film détaille ce lien croissant entre l’homme simple, franc, et le gamin qui, à son contact, développe des qualités humaines et sensibles. Revêche au début, Harvey refuse de travailler à bord, boude, essaie les techniques qui lui ont réussi jusque là ; bien sûr, sur un bateau de pêche, ses manigances échouent face au dédain des marins excédés. La seule fois où un stratagème réussit, quand il piège un pêcheur pour déjouer la concurrence, Manuel l’honnête le rejette et le sanctionne par un mutisme, écho cruel de la quarantaine qu’il avait subi à l’école. Dure leçon, mais qui porte ; peu à peu Harvey se mue en garçon courageux et droit. Au passage Fleming glisse de superbes séquences documentaires, témoignage précieux sur un métier éprouvant que le cinéaste glorifie sans emphase.
Si le scénario ajoute des intrigues parallèles (la rivalité entre deux bateaux, ou celle qui oppose Manuel et Long Jack), il reste centré sur l’apprentissage d’ Harvey, puisque le point de vue du père n’est plus évoqué : rien sur ses angoisses, ni sur les recherches éventuelles. Seul compte cette relation privilégiée qui révèle Manuel et fait grandir Harvey : certes, les gros plans sur le visage enfantin en larmes sont un peu faciles, mais il est impossible, même aujourd’hui, de rester insensible face à l’émotion sincère qui se dégage de ces moments très purs, servis par des acteurs souvent impressionnants. On pourra trouver que Spencer Tracy en rajoute un peu dans l’accent (mais il a eu un Oscar pour le rôle), en revanche le gamin, Freddie Bartholomew, est toujours juste : lui qui interpréta David Copperfield et Le petit lord Fauntleroy ne verse pas dans le cabotinage, ce qui contribue à la qualité de l’émotion. Quant à Lionel Barrymore en loup de mer sensible et John Carradine, ils parviennent à faire exister des personnages secondaires brossés à grands traits.
Fleming sait émouvoir (la mort de Manuel ou la célébration en l’honneur des disparus en mer sont de toute beauté), mais il fait également preuve d’un lyrisme certain : la course-poursuite du retour a du souffle. Comme il bénéficie en sus d’une belle musique de Franz Waxman et de la photographie de Harold Rosson (qui œuvra avec Minnelli, Donen, Huston et Cukor, entre autres), Capitaines courageux rejoint les grands films d’apprentissage et d’aventures, sobre et droit.