Trains quotidiens
Le 9 avril 2011
En hommage à Ozu, une tranche de vie magnifique de maîtrise, de simplicité, de sensibilité et de poésie du quotidien.
- Réalisateur : Hou Hsiao-hsien
- Acteurs : Tadanobu Asano, Hitoto Yo
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Diaphana Édition Vidéo
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– Durée : 1h49mn
– Titre original : Kohi jikou
En hommage à Ozu, Hou Hsiao-Hsien livre une tranche de vie magnifique de maîtrise, de simplicité, de sensibilité et de poésie du quotidien.
L’argument : Yoko, une jeune journaliste, prépare un article sur Jiang Wenye, un compositeur japonais. Elle part à travers les rues et les cafés de Tokyo sur ses pas. Pour l’accompagner dans ce quotidien fait d’errances et de doutes, Hajime, un jeune homme silencieux qui enregistre le bruit des métros. Et puis il y a aussi cet enfant qu’elle porte en elle, et ses parents, à la campagne...
Notre avis : Contemplatif et réaliste à la fois, Café lumière est, derrière ses airs de balade japonaise, une merveille de mise en scène, et la preuve définitive (s’il en fallait une) du talent de Hou Hsiao-hsien. Avare en paroles, en discours alambiqués, il offre un double portrait simple, vrai, pudique et pourtant riche en réflexion, d’une jeune femme, Yoko, et d’un pays, le Japon, avec Tokyo comme toile de fond.
Hou Hsiao-hsien accompagne les allées et venues de son héroïne de cafés en rues piétonnes, de métros en tramways. Doucement, sans artifices, il donne vie à la ville, faisant des rames de métro, des rails qui s’entremêlent autant de veines d’un cœur gigantesque qui bat sous la ville. Ici, pas de Tokyo speedée, panneaux publicitaires clignotants et voitures envahissantes sur les carrefours noirs de monde. Juste les ruelles sombres et intimes d’un quartier résidentiel. Toutefois, entre la ville, Yoko elle-même et ses parents, figures d’une autre génération, vivants à la campagne, c’est aussi le portrait d’une société tiraillée entre modernité et traditions que livre Café lumière. Ou comment aborder la question de cet enfant que Yoko voudrait élever seule, loin de son ami, qui vit à Taïwan. Ce sont les silences entre Yoko et son père, les non-dits, et cette résolution que les parents voudraient annoncer à leur fille, et qui sans cesse reste en suspens, qui disent le mieux cette déchirure.
Tous ces silences qui couvrent Café lumière ne sont donc pas muets. Son titre n’est pas anodin. La lumière, tour à tour poussiéreuse, lourde, ombrée, est aussi cette parole de la ville, qui s’immisce à travers les fenêtres, rafraîchie par les ventilateurs, ou pesante au milieu de la campagne. Bien plus, Café lumière est un film sensible, où les sens sont sans cesse en éveil, et l’ouïe en premier chef. Le vent, les oiseaux, les bruits de la ville et surtout le grincement des métros (que Hajime enregistre, artiste lunaire et urbain) font une bande-son poétique, un chœur de la ville qui a ses couplets (portes qui s’ouvrent, sonneries de téléphone) et son refrain (la berceuse métallique du métro).
Au milieu de cet univers où la nature répond à la brique et au métal, Yoko déambule, frêle silhouette songeuse et fatiguée, marquée par les premiers signes de sa grossesse. Hou Hsiao-hsien garde sans cesse ses distances, observe avec affection et pudeur le parcours de la jeune femme, privilégiant les plans larges, et s’inscrivant dans l’encadrement des portes chaque fois que l’espace se réduit, laissant volontairement apparaître la frontière que forment ces passages. En filmant ses personnages souvent de dos, les laissant sortir régulièrement du cadre, il est l’œil qui observe, non pas indiscret, mais silencieux, âme du Japon, lui qui est taïwanais et qui a tourné son film dans une langue qu’il ne maîtrise pas. À moins que cet œil ne soit celui du fantôme d’Ozu, qui plane sur le film tout entier, par la lumière justement, et cette qualité inimitable pour dire le quotidien et la poésie indicible qu’il cache.
Car enfin Café lumière est un film touchant, profondément humain, drôle même parfois. Intelligent. Une observation, non celle d’un ethnologue méticuleux, mais celle d’un cinéaste amoureux du Japon et peintre des détails qui font le souffle, le flux, les doutes et les plaisirs simples d’une vie. Ainsi voit-on passer cette tranche de vie, cette jeune femme déambulant dans Tokyo, comme à travers la fenêtre d’un de ces innombrables métros qui traversent le film. Avec leur musique du quotidien. En laissant aux vies leur liberté, en ne faisant que passer, pour disparaître de nouveau sous un autre tunnel. En les laissant au milieu de la foule des trains quotidiens.
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