A l’Est rien de nouveau
Le 21 juin 2005
Pèlerinage et véritable leçon d’histoire, un récit initiatique d’une grande force. L’art du reportage à son summum.
- Auteur : Wolfgang Büscher
- Editeur : L’Esprit des péninsules
- Genre : Document
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Soif d’aventure ? Recherche de sa propre vérité ? Sur les raisons qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage à pied, au beau milieu de l’été 2001, Wolfgang Büscher reste discret. A peine quelques mots sur un besoin impérieux d’en finir "avec les choses rassurantes et inutiles". On n’en saura pas plus. L’Est, pour ce grand reporter berlinois de cinquante et un ans, éditorialiste au journal Die Welt, commence à la porte de Brandbourg. Mais plus il avance, plus il se dérobe, ou se modifie. L’Est, décide-t-il finalement par une boutade, "est à droite de ton pied droit". Chargé au plus léger d’un sac à dos contenant le minimum vital, une carte de crédit en poche, il marche pendant quatre mois et sur presque trois mille kilomètres, les yeux grands ouverts, les oreilles aux aguets.
De toute évidence, l’homme a un don, celui de s’ouvrir aux autres. Il n’est pas de ville ou de village où on ne lui vienne en aide : on le nourrit, on l’héberge et, surtout, on lui parle. Sur son parcours, l’Histoire a laissé des blessures aujourd’hui toujours béantes, à tel point qu’"avenir" est un mot qui semble banni du vocabulaire. Un pas après l’autre, dans la chaleur suffocante ou sous la pluie battante, il avance à travers champs, forêts et steppes, et surgissent des fantômes aux destins poignants. Pour n’en citer qu’un, celui de ce soldat allemand qui change de bord et va combattre avec les partisans russes pour sauver une jeune et belle juive dont il est tombé fou d’amour. Les expériences vécues par le marcheur sont multiples, parfois cocasses, parfois inquiétantes, le plus souvent surprenantes. On tente par exemple de lui vendre un casque allemand avec son crâne encore dedans, on lui fait visiter la zone interdite autour de Tchernobyl ou une forêt mystérieuse aux environs de Smolensk. On se confie. Il note dans ses petits carnets.
Ce monde qu’il voit maintenant à hauteur d’homme, Wolfgang Büscher le retranscrit subtilement : descriptions de paysages, portraits, discussions, rêves, pensées intimes, c’est à un voyage varié et multicolore qu’il nous convie. Sans s’épancher, tendresse retenue, laconisme de bon aloi, dans une prose qui possède de la première à la dernière ligne une grande force dramaturgique. Mieux encore, qui est parcourue de fulgurances poétiques. Jusqu’à son but, où il se retrouve "debout sur l’empennage de [son] ombre qui filait droit devant", tout étonné de découvrir, après l’énorme distance parcourue, que "Moscou, c’est l’Ouest de nouveau".
À la fois pèlerinage, récit initiatique et véritable leçon d’histoire, ce reportage au long cours en terre de massacres et tragédies fait jaillir une grande émotion. Un coup de maître qui fait honneur, à travers son auteur talentueux et sensible, à la belle profession de journaliste.
Wolfgang Büscher, Berlin-Moscou, un voyage à pied (Berlin-Moskau, eine Reise zu Fuss, traduit de l’allemand par Cécile Wajsbrot), L’Esprit des péninsules, 2005, 295 pages, 20 €
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