Le 26 avril 2023
Après Hérédité et Midsommar, le petit prodige Ari Aster nous livre une troisième itération du mal être contemporain avec Beau Is Afraid, la symphonie morbide et jusqu’au-boutiste d’un dépressif s’enfonçant dans les limbes de sa psyché malade. Un geste de cinéma radical et démesuré où le réalisateur fait de sa névropathie le moteur intrinsèque de son pays des merveilles.
- Réalisateur : Ari Aster
- Acteurs : Joaquin Phoenix, Amy Ryan, Nathan Lane, Parker Posey, Richard Kind, Denis Ménochet, Zoe Lister-Jones, Patti LuPone, Bill Hader, Michael Esper, Hayley Squires, Stephen McKinley Henderson, Théodore Pellerin, Archie Madekwe, Armen Nahapetian
- Genre : Drame, Aventures, Épouvante-horreur, Expérimental
- Nationalité : Américain
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 2h59mn
- Date télé : 24 novembre 2023 22:54
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Date de sortie : 26 avril 2023
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Résumé : Beau tente désespérément de rejoindre sa mère. Mais l’univers semble se liguer contre lui…
Critique : Ari Aster nous avait laissé paralysés par le final ô combien libérateur et purificatoire de Midsommar, sorte de cauchemar lumineux qui retournait complètement la symbolique de la spirale infernale dans lequel le protagoniste du film d’horreur s’enfonçait petit à petit jusqu’à n’être que néant. La trajectoire du personnage de Dani, l’héroïne de Midsommar, commençait dans les fins fonds des ténèbres pour basculer, à mesure que le film dégénèrait en quelque chose de véritablement putrescent, dans un univers de plus en plus lumineux, à la lumière absorbante, élévatrice. C’était tout le projet d’Ari Aster : user de ses traumas comme d’un refuge spirituel et cathartique, ici la communauté d’un culte païen. Près de quatre ans plus tard, Aster semble avoir muri son cinéma et a entrepris d’adapter son court métrage Beau en un film somme mélangeant psychanalyse et autofiction, sans possibilités d’échappatoires. Le métrage s’ouvre sur une vision subjective d’un nouveau né qui s’apprête à entrer dans le monde : la lumière est aveuglante, le son semblable à une hélice d’avion qui tournerait en boucle, et soudain des voix. C’est le début de la dégringolade. On retrouve Beau blotti dans son appartement miteux dans une ville sans foi ni loi où toute forme de justice sociale semble avoir été étouffée dans le sang. Ce n’est pas notre monde, on le sait bien, mais sa violence prégnante et son imagerie malade tendent à nous donner un miroir à peine déformée de notre réalité. L’empathie que l’on éprouve pour Beau est alors immédiate tant on a l’impression qu’il demeure la seule anomalie, une heureuse anomalie, dans un monde devenu fou.
- Joaquin Phoenix
- © Takashi Seida
Son seul objectif est de retrouver sa mère mais tout semble se liguer contre lui. Comme dans ses précédents films, Aster utilise son storytelling comme élément à part entière du cadre et de l’image, que cela soit à travers un écran de télévision, une réminiscence refoulée, la figure de l’araignée, le cinéaste se joue du spectateur en disséminant ici et là des indices et commentaires sur ce qui est, ce qui a été, ce qui sera. Tout confère à un sentiment d’inéluctabilité. La richesse de Beau Is Afraid réside dans la fluctuation de genres superposés l’un sur l’autre, parfois dans un seul et même segment. Aster convoque toutes les figures de style qui avaient fait le sel de son cinéma, le corps paralysé comme collé au plafond, le visage possédé, l’effet de "distorsion" de l’image vue dans Midsommar, une obsession fétichiste pour la décapitation, le cut temporel, pour en extraire leur puissance évocatrice, de même que les différents segment font constamment écho aux œuvres précédentes du réalisateur. Le second acte, prenant la forme d’un huis clos familial névrotique avec une mère fanatique, un père absent et une fille suicidaire, traumatisée par la mort de son frère aîné, semble faire écho à la dynamique malsaine et avilissante de la famille Graham, frappée par la malédiction du culte du démon Paimon.
- © Mommy Knows Best LLC
L’avant-dernier segment, le plus intéressant à mes yeux, montre un théâtre itinérant mené par une communauté recluse en pleine forêt, telle une utopie fait de bric et de broc. Beau assiste à une pièce de théâtre qui révèle à mesure que le temps file les tendances cachées, les penchants inavoués, les aspirations, les espoirs, les rêves inassouvis que Beau s’est évertué à drainer toute sa vie. Aster glisse son regard à la surface de ces êtres, pour mieux capter ensuite, comme à leur insu, ces moments d’émotions brisées qu’il arrache aux obscures profondeurs de leur conscience. Comme dans un dernier souffle épique avant une mort prédéterminée, Aster s’amuse à pousser les curseurs de son cinéma le plus loin possible, au risque de briser la dernière suspension d’incrédulité du spectateur le plus averti, dans un dernier acte hallucinatoire, pavé de visions d’horreur suscitant davantage le rire jaune que l’effroi. Ari Aster livre une œuvre purement inclassable qui amène le genre du elevated horror vers des terrains encore jamais vus dans le cinéma contemporain, où Beau, avatar s’il en est de son cinéaste habité par l’angoisse perpétuelle, vertu propre à tous artistes, déambule dans un pays des merveilles qui agirait comme une antithèse de la dopamine. Son final grandiose, d’une tristesse lancinante, résume à peu près toute la folie, la frénésie, la psychose et l’absurdité de ce périple entrepris par Beau durant près de trois heures.
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