Barberousse - la critique du film

Notre avis : Réalisé dans la douleur (deux ans de tournage, un budget faramineux impossible à amortir qui entraînera la rupture définitive avec la Toho, de profonds désaccords avec Toshiro Mifune, qui mettront fin à leur très fructueuse collaboration), Barberousse ne souffre nullement de ces contraintes et c’est un nouveau chef-d’œuvre que nous livre ici Akira Kurosawa. S’attaquant, après Vivre et Les bas-fonds, à l’un de ses sujets de prédilection, le sort des miséreux, celui que l’on surnommait l’Empereur déploie une nouvelle fois toute sa science du septième art, pour nous offrir une œuvre d’une bouleversante humanité.

BARBEROUSSE © 1965, TOHO Co., Ltd. Tous droits réservés.

Parfaitement articulé, le récit s’organise autour du disciple Yasumoto, jeune homme ambitieux qui s’ouvre peu à peu à ses semblables nécessiteux, sous la houlette du bougon mais profondément humain Barberousse. Vient nourrir cette trame une série de récits secondaires mettant en scène différents personnages (une jeune femme atteinte de folie meurtrière, un mourant au destin tragique, une adolescente sauvée de justesse du bordel, un enfant qui vole pour ne pas mourir de faim...).
L’ensemble constitue une fresque lucide et désolée, dans laquelle les responsabilités sont clairement mais finement pointées (l’ignorance, la misère aggravée par l’indigence de l’État, les ambitions personnelles...). Cela pourrait paraître totalement déprimant. Pourtant, Kurosawa développe un tel amour de l’être humain, une telle confiance en sa dignité et sa solidarité que le spectateur, de plus en plus touché et impressionné, ressort rasséréné et ébloui par une œuvre d’une profonde maturité, superbement réalisée (la recherche formelle sur les jeux d’ombres est particulièrement remarquable). Et le Maître ne s’arrêtera pas en si bon chemin puisqu’il approfondira les mêmes thèmes, sur un mode nettement plus désespéré, dans Dodes’kaden, nouveau chef-d’œuvre et premier film en couleur. Suivront, entre autres, Dersou Ouzala, œuvre apaisée, puis les grandes fresques épiques (Ran, Kagemusha). Toujours au centre : l’humain.

Affiche originale MK2 diffusion - illustration : Bernard Dufour

LE DVD

Le(s) suppléments (s) à ne pas manquer : Un documentaire japonais assez superficiel sur le tournage du film et un entretien avec Toshiro Mifune, qui y parle de son père durant une petite demi-heure. On en ressort un peu frustré, l’acteur retraçant la carrière de son père mais ne s’attardant pas sur ses relations avec Kurosawa, comme si dix-sept films en commun étaient une paille. Il est d’autre part assez ironique que cet entretien soit proposé en bonus du film qui a vu les deux hommes entrer dans un profond désaccord sur la manière d’interpréter le personnage de Barberousse, conflit qui mit un terme définitif à l’une des collaborations (entre un metteur en scène et un acteur) les plus fructueuses de toute l’histoire du cinéma. De cette brouille il n’est absolument pas question, alors qu’on aimerait en savoir plus.

Image & son : L’admirable travail de restauration de l’image et du son entrepris par l’éditeur se poursuit dans cette nouvelle livraison. Il rend pleinement justice à la beauté formelle (les ombres...) et sonore de ce film.