Le 17 février 2016
S’il ne convaincra pas tout le monde, Ave, César ! demeure un énième film inscrivant les frères Coen au Panthéon des cinéastes.
- Réalisateurs : Ethan Coen - Joel Coen
- Acteurs : Ralph Fiennes, Scarlett Johansson, George Clooney, Tilda Swinton, Channing Tatum, Josh Brolin, Alden Ehrenreich
- Genre : Comédie
- Date télé : 25 décembre 2021 20:40
- Chaîne : OCS Max
- Date de sortie : 17 février 2016
Parce qu’ils ont engendré une série d’œuvres iconiques, il serait inconvenant de ne pas reconnaître l’immensité du talent des Coen. Les deux frères figurent parmi les plus grands cinéastes de notre époque, et seul un duo de cette envergure pouvait écrire, produire et réaliser un film aussi ambitieux qu’Ave, César ! Ce nouveau long-métrage, explorant le quotidien tumultueux d’une major pendant les années 50, est porté par une virtuosité rare… certes tempérée par une narration déconcertante.
L’argument : Eddie Mannix (Josh Brolin) est fixer pour le compte des studios Capitol Pictures (cf : Barton Fink). C’est un homme au sang froid, dévoué, et s’imposant une certaine droiture. Ses tâches sont les suivantes : préserver l’aura des acteurs, assurer le maintien de conditions de tournage optimales et gérer les relations de presse. En 28 heures, il devra retrouver la trace de Baird Whitlock (George Clooney), comédien égocentrique kidnappé sur le tournage d’une adaptation de la Bible en Technicolor (Ave, César !, la nouvelle superproduction de la firme) ; régir le changement d’image de l’acteur de western Hobie Doyle (Alden Ehrenreich), qui interprétera désormais un jeune premier dans le prochain mélodrame de Laurence Laurentz (Ralph Fiennes) ; rompre – par convenance - le célibat de la star de ballets aquatiques DeeAnna Moran (Scarlett Johansson), qui attend seule un enfant ; et satisfaire la curiosité des jumelles Thacker (Tilda Swinton), journalistes à la plume acide en quête de ragots susceptibles d’intéresser leur lectorat…
Notre avis : La nouvelle comédie des frères Coen jouit d’un script regorgeant d’idées magistrales... Le film prenant place dans des studios de cinéma de l’âge d’or d’Hollywood, les deux metteurs en scène disposent de tous les moyens nécessaires pour transcender l’une de leurs obsessions : le mélange des genres. Du mélodrame au péplum, en passant par le western et la comédie musicale, Ave, César ! est ponctué de scènes de reconstitution sublimées par l’utilisation de techniques de tournage de l’époque. Ces scènes, chorégraphiées avec maestria par différents experts (Mesha Kussman pour le ballet aquatique, Tad Griffith pour les cascades équestres, Christopher Gattelli pour les claquettes) ont exigé le dévouement absolu (soit plusieurs mois de travail pour une poignée de minutes) des membres du all star cast qui les exécutent. Couplé à l’ardeur des collaborateurs récurrents des frères Coen (au-delà des acteurs, Roger Deakins à la photographie, Jess Gonchor aux décors, Mary Zophres aux costumes, Carter Burwell à la musique…), ce fait accentue (une nouvelle fois) le halo cinématographique de la fratrie et symbolise l’essence même de l’œuvre : l’équilibre délicat entre la magnificence du 7ème art et la vanité et les menteries qui le font vivre. Ave, César ! est une déclaration d’amour cinglante – à l’aulne du cynisme des réalisateurs – à ces productions des années 50, aussi grandioses que chimériques, qui reposaient sur un système quasi-despotique… Les Coen rompent le charme avec une élégance folle, en multipliant les jeux entre le cadre et les écrans qui permettent à Mannix de voir les rushes, dévoilant ainsi la bouffonnerie sous-jacente d’une prétendue usine à rêves. En résulte un film aussi hardi que généreux, offrant au spectateur un spectacle absolu, et dont l’incroyable maîtrise s’érige en tour de force. Les cinéastes, en livrant cette œuvre - en apparence - anti-commerciale du fait de sa narration (le scénario étant dénué d’une véritable ligne directrice), appuient leur hégémonie artistique et se détachent (ironiquement, compte-tenu du contexte diégétique) du contrôle des maisons de production. À cet égard, il est intéressant de souligner la manière dont est vendu le film, les affiches promotionnelles semblant faire de l’enlèvement du personnage de George Clooney son élément central, alors qu’il ne s’agit que d’une sous-intrigue parmi d’autres…
Exalté par le prestige de ses comédiens (de Josh Brolin à Jonah Hill, en passant par Channing Tatum, Frances McDormand et l’excellent Alden Ehrenreich), Ave, César ! est grevé de dialogues absurdes, portant le comique de répétition jusqu’à son paroxysme. Les interprétations des acteurs - alliées à l’éloquence de certains gags visuels renvoyant à des univers prédéfinis - favorisent le télescopage émotionnel du spectateur. Le dernier film de frères Coen repose sur les pérégrinations d’Eddie Mannix et se révèle aussi progressif que pouvait l’être le quotidien d’un fixer pendant les années 50 : si l’installation des touches humoristiques se fait avec minutie, les fragments de l’œuvre s’enchaînent sans se ressembler, mais toujours avec fluidité ; le découpage, le montage et une direction artistique riche en détails assurant la cohérence de l’œuvre malgré son fourmillement d’idées. Du reste, Ave, César ! ne souffre que de l’ampleur de son ambition : pendant 1h46 et sous l’égide de la comédie, une myriade de thématiques sociologiques, économiques et théologiques s’entremêlent sur la pellicule… mais à force de trop briller, le long-métrage finit par éblouir, et seuls les zélateurs des frères Coen en saisiront promptement les principaux enjeux, tant ces sujets imprègnent la filmographie du réalisateur à deux têtes. Les autres risqueront d’être décontenancés par la construction particulière du récit ; construction faisant écho à une époque instable où les choses étaient sans cesse en mouvement (in fine, la mégalomanie des studios les mènera à l’autodestruction). Mais au-delà de sa singularité, Ave, César ! demeure princièrement jubilatoire. Mêlant un fond d’authenticité (les protagonistes étant pour la plupart inspirés de réelles personnalités de l’époque) à un grain de folie typiquement coenien (de l’aspect homo-érotique du numéro de claquettes de Channing Tatum aux caméos de Christophe Lambert et de Dolph Lundgren), le film propose un divertimento d’une richesse et d’une liberté admirables, rendant hommage au médium cinématographique tout en exposant sans retenue tout ce qu’il a de plus frivole. Would that it were so simple.
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MYTHOMANIAC 5 juin 2019
Ave, César ! - la critique du nouveau film des frères Coen
Plein de belles choses et de clins d’oeil, même si ce n’est pas leur meilleur, un regard coupable et complice sur l’industrie du cinéma.