Le 18 novembre 2020
Du Mexique aux Etats-Unis, un voyage plein de péripéties et de dangers pour raconter, avec une précision d’orfèvre, l’enfer traversé par les malheureux candidats à l’exil forcé.
- Auteur : Jeanine Cummins
- Editeur : Philippe Rey
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Françoise Adelstain, Christine Auché
- Date de sortie : 20 août 2020
Résumé : Libraire à Acapulco, au Mexique, Lydia mène une vie calme avec son mari journaliste Sebastián et leur famille, malgré les tensions causées dans la ville par les puissants cartels de la drogue. Jusqu’au jour où Sebastián, s’apprêtant à révéler dans la presse l’identité du chef du principal cartel, apprend à Lydia que celui-ci n’est autre que Javier, un client érudit avec qui elle s’est liée dans sa librairie... La parution de son article, quelques jours plus tard, bouleverse leur destin à tous.
Critique : Une tuerie d’une incroyable barbarie plonge d’emblée le lecteur dans ce roman violent et réaliste. A Acapulco, lors d’une fête d’anniversaire, seize personnes, adultes et enfants confondus, d’une même famille, viennent d’être abattues par l’un des plus féroces narcotrafiquants du pays, avide de pouvoir et passionné de littérature mexicaine. Seuls Lydia et Luca, son fils de huit ans, réfugiés dans la salle de bain, échappent à cette tuerie. Il leur faut désormais fuir les tueurs qui sont à leurs trousses. Ils n’ont d’autre solution que de remonter vers El Norte, les Etats-Unis qui, s’ils ne sont pas exactement la terre d’asile dont ils rêvent, leur laissent l’espoir de rester en vie.
Sous la plume nerveuse de Jeanine Cummins, une jeune auteure américaine jusqu’alors peu connue, commence un effrayant périple où des hommes, des femmes et même des enfants, confrontés à des circonstances tragiques, sont jetés, bien malgré eux, sur les routes de l’exil. Ce récit implacable est pourtant teinté d’une tendre bienveillance pour tous ces migrants de tous âges et de toutes catégories sociales, venus de tous les pays d’Amérique du Sud, qui se cachent au fond d’un bus, se hissent incognito sur le toit de la terrorisante Bestia, ce train fantôme qui fonce à toute allure dans la nuit, affrontent la corruption de fonctionnaires qui sont prêts à les racketter, les violer ou même les tuer en toute impunité, subissent la faim, la soif, la chaleur extrême ou le froid des nuits du désert. Pourtant, tels des sas d’aération, surgissent, au milieu de cette tragédie noire, la fraîcheur d’une amitié naissante, l’ébauche de quelques gestes d’entraide capables de se transformer parfois en franche solidarité, démontrant la capacité de l’être humain à développer des trésors d’adaptabilité pour assurer sa survie.
Certes, l’intrigue n’évite pas quelques rebondissements prévisibles. Néanmoins, des phrases courtes et incisives nous immergent directement au cœur de ce roman âpre qui, s’il prend peu à peu l’allure d’un thriller haletant que l’on ne se résout pas à lâcher, a aussi la délicatesse de suggérer plutôt que de décrire crûment les pires atrocités.
Avant de se lancer dans l’écriture de son ouvrage, l’auteure a rassemblé, durant cinq ans, documents et interviews sur le sujet. De quoi donner à ce plaidoyer universel pour les migrants de sacrés beaux accents de vérité.
542 pages - 23 €
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Kirzy 9 février 2021
American dirt - Jeanine Cummins - la critique du livre
En général, mes premières impressions post lecture sont « fiables » dans le sens où elles perdurent souvent, parfois s’affadissant un peu lorsque l’empreinte d’un livre, pas assez forte, s’estompe. Mais rarement je ne revois mon jugement initial. Cela a été le cas pour cet American dirt.
Ce roman émotionnellement très fort raconte l’odyssée désespérée d’une mère et de son fils pour fuir le Mexique, après le massacre des seize membres de leur famille par un cartel, en intégrant la masse de migrants voulant passer clandestinement al Norte, aux Etats-Unis.
Dès les premières pages, l’écriture incisive et précise de Jeannine Cummins happe le lecteur qui se dit qu’il met les pieds en terrain connu, celui des récits violents de gangsters et de narcotrafiquants sur fond de contexte mexicain décrit nettement ( assassinats massifs de journalistes, impunité des cartels, ultra violence de ces derniers, corruption généralisée ). Mais très rapidement, ce qui se dégage de ce roman, c’est l’empathie que l’auteur développe pour ses personnages qui traversent des souffrances inconcevables, pour ceux qui réussissent à surmonter des traumatismes inouïs dans l’espoir de se reconstruire ailleurs. C’est sans doute cette articulation entre course poursuite haletante et récit de l’intime qui est le plus réussie, d’autant plus que c’est l’angle féminin qui est choisie pour raconter ces caravanes de migrants latino-américains.
Il n’y a rien de strictement politique dans le récit de Jeannine Cummins, juste une description complète et réaliste ( ou qu’on imagine tels ) du parcours de ces migrants clandestins. Elle fait le choix du souci moral et humanitaire en donnant des visages, ceux de Lydia, Soledad, Rebeca, Luca, à la masse anonyme des migrants, habituellement présentés comme des gens pauvres et impuissants mendiant à grands cris à nos portes ou comme une populace d’envahisseurs criminels selon les points de vue. Elle leur redonne une dignité en les montrant comme acteurs de leur vie capables de construire leur futur. Elle offre un temps d’arrêt au lecteur pour entendre ces voix, comme un pont entre des personnes aux vies radicalement différentes.
Et c’est très fort de voir cette mère et ce fils se déguiser en migrants pour survivre aux sicaires des cartels envoyés à leur trousse, jusqu’à devenir des migrants à part entière s’accrochant au toit de la Bestia ( le train ), fuyant les brutalités de la migra et des milices antimigrants, rongés par la faim, l’insomnie, la paranoïa dans une terreur omniprésente, devant affronter les violences faites aux femmes comme la traversée du désert de la Sonora. On vit, on respire l’histoire de ces migrants fictifs qui semble si vraie, ses périls mais aussi la solidarité et l’héroïsme inattendu de personnes ordinaires. Tout est vibrant de mille émotions. En fait, Jeannine Cummins offre un temps d’arrêt au lecteur pour entendre ces voix qu’on n’entend jamais, elle offre d’autres subjectifs comme un acte d’urgence éthique pour dépasser les a priori sclérosants, comme un pont entre des personnes aux vies radicalement différentes. Les embardées poétiques et singulières des monologues intérieurs de la mère portent le récit au-delà même.
J’ai refermé ce roman très enthousiaste, soufflée par la puissance émotionnelle qu’il a dégagée. Et puis quelques jours passant, quelques semaines après, j’ai un peu réévalué cette immédiateté fulgurante de l’émotion qui a dévoré voire confisqué une réflexion plus profonde.La ligne entre empathie et pitié, entre réalisme et voyeurisme est très fine. Elle est parfois à la limite d’être franchie malgré l’évidente sincérité de l’auteure. Je n’ai par exemple par compris le choix de monter une « bluette » sentimentale quasi de type romance entre Lydia et le chef mafieux. Au-delà de ce choix hasardeux et peu pertinent, le fait de démarrer le roman par un massacre, de choisir comme personnages principaux une mère et son fils menacés d’une mort atroce, confisque toute argumentation, aucun débat n’est possible, aucun chemin émotionnel autre que celui choisit par l’auteur n’est possible. J’ai encore du mal à me situer par rapport à ce roman qui me met quelque peu mal à l’aise.
PS : A noter qu’aux Etats-Unis, ce roman a eu un énorme succès. Il a également fait rebondir les polémiques récentes sur l’appropriation culturelle, certains refusant à l’auteure sa légitimité à parler des migrants, car elle est blanche et non latino-américaine ( elle a « seulement » une grand-mère portoricaine ), polémiques que je trouve injustes au vu de la qualité du travail de documentation de l’auteure.