La fabrique du fou
Le 8 mars 2015
Cinéaste des territoires chinois en marge, Wang Bing s’intéresse dans son nouveau documentaire aux patients d’un hôpital psychiatrique.
- Réalisateur : Wang Bing
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Japonais
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 3h47mn
- Titre original : Feng ai
- Date de sortie : 11 mars 2015
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– Année de production 2013
Résumé : Un hôpital psychiatrique du sud-ouest de la Chine. Une cinquantaine d’hommes vivent enfermés traînant leur mal-être du balcon circulaire grillagé à leur chambre collective. Ces malades, déviants ou opposants, éprouvent au quotidien leur résistance physique et mentale à la violence d’une liberté restreinte. Wang Bing nous plonge dans la "folie" de la Chine contemporaine.
Critique : Sans voix off ni création sonore qui pourraient dramatiser le réel et modifier la perception du spectateur, le réalisateur nous confronte d’emblée avec le quotidien de ces internés dans un asile du fin fond de la Chine. Désorienté dans un premier temps, le spectateur ne pourra se raccrocher qu’aux quelques intertitres mentionnant le nom et le temps de détention des patients de l’hôpital pour comprendre par lui-même la situation. Le spectateur se retrouve au cœur d’un asile de fous où les fous se révèlent ne pas tous être aussi fous qu’on pourrait le croire. Wang Bing s’attache à montrer la diversité des profils qui se côtoient dans cet espace réduit et insalubre. Internés pour violence, handicap, pour des raisons de religion ou encore pour cause d’opposition au régime, cet hôpital psychiatrique apparaît comme le lieu où disparaissent ceux pour lesquels la société – parfois la famille même des patients - n’a pas trouvé de place et dont elle ne sait que faire. Le réalisateur croise tout autant d’individus sans pathologie mentale à leur arrivée et dont les résistances psychiques cèdent à force d’enfermement, les faisant basculer dans la folie ou dans une léthargie inquiétante. Nombreux sont en effet les internés qui dorment jours et nuits, reclus dans leur lit, pour s’abstraire de leur condition. D’autre part, les médecins et soignants se font remarquer par leur absence et semblent davantage chargés d’abrutir les internés de médicaments – que l’on soupçonne d’être les mêmes pour tous les patients - que de leur venir en aide.
- © Les Acacias
Au fil du documentaire, le spectateur voit se dessiner des usages dans ce qui semble au départ n’être pour nous qu’un chaos glauque et délétère. Une certaine organisation sociale entre les patients se fait jour. Ne disposant d’aucune cellule individuelle – on ne peut décidément pas appeler ces pièces des chambres – les internés évoluent à leur guise d’une cellule à l’autre, désœuvrés. Wang Bing filme un espace sans intimité possible, ou plutôt un lieu où l’intimité émerge forcément du contact physique entre les patients, manifestation d’un profond besoin d’attention et d’affection dans leur solitude, au-delà de tout éventuel désir sexuel. On retient les images de tous ces internés qui dorment à plusieurs dans leur lit étroit par besoin de contact humain. On retiendra encore celles, touchantes, de cet homme qui entretient une sorte de romance avec une autre internée résidant à l’étage inférieur en lui parlant à travers les barreaux donnant sur la cour intérieure de l’hôpital. Témoignant de la grande sensibilité humaine et artistique du réalisateur, À la folie connaît aussi des moments forts, remarquables par leur fulgurance, comme par exemple celui où, dans un élan libérateur, dans une volonté de s’abstraire un instant de l’environnement dans lequel il est emprisonné, l’un des internés entreprend une course sur le balcon circulaire de l’hôpital, comme une tentative désespérée d’échapper à soi et à la réalité.
- © Les Acacias
Les faiblesses du documentaire résident cependant dans sa longueur (3h47) et son montage particulièrement minimaliste. Le choix du réalisateur s’est porté sur de longs plans-séquences qui emprisonnent le spectateur avec les patients de l’asile dans un temps qui semble infini. Le spectateur se verra ainsi mis face à des séquences dont on questionnera parfois la nécessité. Le cinéaste opte pour une démarche filmique attentive où l’on voit l’événement se produire, advenir dans le cadre. On a alors quelques fois le sentiment qu’il s’est perdu dans la captation de l’instant sans prendre en considération la totalité ou la finalité de son documentaire. Si les trois cents heures de rushes ont été largement réduites et travaillées, il en résulte malgré tout un film dont le rythme et les mouvements successifs sont difficilement perceptibles du fait de l’étendue des séquences. La perspective formelle choisie par le réalisateur ferait presque penser, de façon plutôt stimulante, à une démarche expérimentale mettant à l’épreuve le spectateur.
Wang Bing signe un documentaire marquant soutenu par une approche humaine de ces hommes mis au ban de la société. À la folie s’avère paradoxalement être une œuvre rendue difficile d’accès par une mise en forme et des partis pris de réalisation susceptibles d’en détourner le spectateur.
- © Les Acacias
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