Boulevard du crépuscule
Le 2 septembre 2020
Virtuose et exaspérant à la fois, Youth manque de cette modestie qui ferait à n’en pas douter passer le cinéma de Sorrentino pour étincelant. Reste cependant quelques fulgurances incontestables.
- Réalisateur : Paolo Sorrentino
- Acteurs : Harvey Keitel, Michael Caine, Rachel Weisz, Jane Fonda, Paul Dano, Ed Stoppard, Paloma Faith
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Italien, Suisse
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 1h58mn
- Date télé : 7 mai 2022 22:24
- Chaîne : Ciné+ Club
- Titre original : La giovinezza
- Date de sortie : 9 septembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingts ans, profitent de leurs vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes. Fred, compositeur et chef d’orchestre désormais à la retraite, n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours, s’empressant de terminer le scénario de son dernier film. Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble. Mais contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe…
Critique : Ce n’est pas la première fois que Paolo Sorrentino opte pour un casting anglo-saxon. Déjà en 2011, This Must Be the Place, prix du jury œcuménique à Cannes, disposait d’un casting composé entre autres de Sean Penn et Frances McDormand. Fatigué de perpétuer de façon si voyante les obsessions de son mentor Federico Fellini, l’Italien réitère la chose avec Youth, conçu sur mesure pour Michael Caine et Harvey Keitel. Exit la jet set romaine décadente nécrosée par la vanité de La Grande Bellezza, et place à une vieillesse rongée par le doute et les remords dans Youth. A noter qu’on ne quitte pas tout à fait l’Italie dans le fond, puisque l’action ou plutôt l’inertie du film se déroule sur les hauteurs de la Suisse, à quelques pas. Tout comme La Grande Bellezza évoquait la laideur là où le spectateur s’attendait à trouver la beauté, Youth nous parle de vieillesse en lieu et place de la jeunesse. Une vieillesse qui contemple avec avidité l’ombre d’elle-même, le souvenir de ce qu’elle ne sera jamais plus. Aux corps décharnés et abîmés par le temps, s’opposent des parangons de la jeunesse dans ce qu’elle a de plus charnel. C’est le contraste entre une vision d’un corps parfait au sens populaire du terme – celui vendu par la publicité – et celle d’un corps certes tanné par les années mais néanmoins superbe.
A la fois dans les dialogues et dans tous ces plans féroces teintés d’ironie, Sorrentino poursuit tête baissée le sillon entamé dans son film précédent. L’influence exercée par la littérature semble toujours aussi palpable, de Céline à Marcel Proust en passant par Gustave Flaubert. Comme s’il s’agissait pour le cinéaste de ne faire tenir son film que par la force du style. Si Youth s’éparpille un peu moins que son prédécesseur, cette volonté maladive de toujours faire avancer le récit à grand renfort de saillies surréalistes et de jolies bizarreries vire à l’autosatisfaction. A l’instar de Jep Gambardella dans La Grande Bellezza, Fred Ballinger (Michael Caine), compositeur émérite jadis ami proche d’Igor Stravinsky, est submergé par ses hantises, ses frustrations et ses souvenirs. Or, quoi de mieux pour stimuler les affects et les sentiments de cet homme à fleur de peau que cette station thermale haut de gamme nichée au creux des montagnes helvètes ?
Comme s’il voulait agacer un peu plus ses détracteurs, Paolo Sorrentino adopte toujours la même logique ostentatoire. Avec ses clichés visuels par dizaines, ses joliesses manifestes, ses travellings soignés, ses personnages abracadabrants et ses cadrages virant au fétichisme, le kaléidoscope présenté est encore une fois adroit. Mais toute cette splendeur laisse un arrière-goût de clinquant, de vanité, parfois à la limite du snobisme. Pire : l’on a par moment l’impression de contempler un spot publicitaire – à vous de retrouver la pub Milka. Pour autant, ce serait mentir que de ne pas reconnaître à nouveau la virtuosité du réalisateur, dont la finesse - et la perversion - est d’avoir choisi Michael Caine, Harvey Keitel ou encore Jane Fonda pour digresser sur le crépuscule. A ce titre, la plus belle séquence est le cauchemar de Fred Ballinger, noyé
métaphoriquement par sa frustration après avoir croisé Miss univers sur la place Saint-Marc - preuve que le cinéma de Sorrentino se porte mieux en Italie. Petit joyau de mise en scène qui paraît malheureusement un peu égaré, au milieu de tout ce tissu d’autosuffisance. Malgré tout, lorsque le réalisateur échappe à ses gimmicks en ne se concentrant plus que sur ses personnages, l’aspect trop calculé de l’ensemble disparaît au profit de quelques délicatesses presque touchantes, si ce n’était cette tendance aux trémolos. Comme si le cinéaste se fatiguait lui-même à force de sans cesse faire l’étalage de tant de beautés.
Si Youth ne devrait pas manquer de séduire par sa virtuosité manifeste, son humour torve et dans une certaine limite par l’ode à la création et à la vie sécrétée par son récit, il faudrait plus pour vraiment convaincre et éblouir. Reste que Sorrentino ne manque pas de vivacité d’esprit ni d’inspiration, juste de modestie.
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