Why ?
Le 3 avril 2024
Viens molester le bon sens avec Quentin Dupieux et son nouveau manifeste de l’art comptant pour rien.
- Réalisateur : Quentin Dupieux
- Acteurs : Éric Judor, Jack Plotnick, Alexis Dziena, William Fichtner, Mark Burnham, Arden Myrin
- Genre : Comédie, Drame, Comédie dramatique
- Nationalité : Américain, Français
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 1h34mn
- Date de sortie : 5 septembre 2012
Résumé : Dolph a perdu son chien, Paul. Le mystérieux Master Chang pourrait en être la cause. Le détective Ronnie, la solution. Emma, la vendeuse de pizzas, serait un remède, et son jardinier, une diversion ? Ou le contraire. Car Paul est parti, et Dolph a perdu la tête.
Critique : Quand il n’est pas un banal escroc de l’électro déraisonnée sous le pseudonyme et sur les flat beats de Mr. Oizo, Quentin Dupieux est un stupéfiant contrebandier de cinéma. Le seul homme à s’être attaqué de front aux problèmes conjoints de la chirurgie plastique et des produits laitiers (Steak), juste avant de réaliser le premier film de l’histoire sur un pneu psychopathe (Rubber). Oui, nous parlons là d’un pointilliste du vide, un poseur militant, un faux cinglé salutaire à l’heure où le cinéma hexagonal expire sous le poids d’un néant non assumé, farci de thématiques sociétales au cul de plomb et d’hystéries cosmétiques directement pensées pour le téléachat. Quand certains révisent leurs cartes de France pour tomber sur le prochain Chtis (selon Bowling, il viendra de Bretagne), Mysterious D moissonne sévèrement les champs de l’absurde. Et toujours en sens interdit.
En bon terroriste du script, Dupieux sait parfaitement bien que le vrai n’est qu’un moment du faux. Et s’il ne l’a pas lu chez Debord, c’est qu’il porte ça dans les gènes. Rien dans Wrong ne respire l’authenticité : tout y est mouvant, incertain, de passage. Les palmiers deviennent sapins quand on ne les surveille pas, les morts ne sont pas morts, les joggeurs ne courent pas, les réveils affichent 7h60 et Dolph travaille pour l’entreprise qui l’a viré. Oubliez les lucarnes magiques que Magritte découpe dans l’ordinaire bourgeois, oubliez Buñuel le spectaculaire et le nonsense en parade des Monty Python, Wrong est une intoxication languissante du réel, un distributeur à contrefaçons, une corruption mesquine et quasi dérisoire de tout les appuis de la raison. Sans profondeur et privé de transcendance, le film est totalement horizontal, étrangement neutre dans son absurdité et donc remarquable en cela. Lorsque le voisin de Dolph abandonne sa vie en l’état et laisse le hasard guider sa bagnole, il ne trouve rien de plus qu’un désert. On ne peut pas rêver d’ailleurs quand on vient de nulle part. Du reste, l’arythmie des séquences, la lumière propre et sans indice, la rigueur et l’immobilisme des plans, les tronches monocordes et les voix minérales des personnages précipitent tout autant la mise en scène vers une impasse où l’attendait le scénario depuis longtemps. Si Wrong est un film factice et stagnant, c’est aussi parce que Dupieux a pris soin de lui saboter l’embrayage dès le synopsis.
Oui, on se fiche de cette histoire de chien perdu. D’ailleurs, Wrong s’en fiche également, tout le monde s’en fiche. Tout le monde sauf Dolph, dérivé d’homme en transparence, malentendu pavillonnaire, vapeur en chemise que sa « femme » confond régulièrement avec le jardinier (Éric Judor et son accent redoutable). Pourtant, le moindre figurant de cette odyssée du surplace est (inexplicablement) porteur d’un segment de l’intrigue : du détective privé au brancardier de passage, chacun maîtrise l’agenda scénaristique de Dolph avant même qu’il n’en prenne connaissance, favorisant son inertie pathétique de bouc émissaire largué. Et si la fiction suit bel et bien son cours, c’est par miracle et à l’insu de son protagoniste, avec qui nous sommes pourtant contraints de passer l’essentiel d’un film chauve et délicieusement vautré dans son incomplétude. On finit par rire de tout (des employés de bureau impassibles travaillant sous les trombes d’eau de l’alarme incendie), de rien (la musique d’attente inaudible d’une pizzeria) et même d’autres choses (le détective enquête sur la disparition de Paul en étudiant la mémoire de ses étrons). Cet humour blanc, suspendu, jamais parodique ou railleur, ne fait pas de Wrong un film creux, mais en creux. Il va même y puiser son salut.
Parce qu’il y avait du brio dans Rubber, des envies formelles et parfois de vrais accomplissements. On se souvient notamment des séquences d’éveil du pneu, filmées par un 5D alors quasiment inédit au cinéma, et tenues par une musique géniale (Tricycle Express) ou des montages sonores pas étrangers à la magie fruste de l’ensemble. Wrong, lui, s’il n’est pas laid et mieux filmé que la grande moyenne des farces françaises (en plus, c’est une production américaine), ne verse jamais dans ce genre de bricolages géniaux, certainement jugés trop vulgaires par un Dupieux pris dans sa logique du dépouillement et de la dissonance en sous-régime. C’est quand même dommage de se tirer une balle dans le pied quand l’autre est en mousse. De la mousse de luxe, certes, mais de la mousse quand même.
On pourrait d’ailleurs penser que l’animal a développé un goût dangereux pour le sacrifice critique, préférant se jeter lui-même en pâture aux anti-snobs assermentés plutôt que de se faire manipuler par les mauvaises mains, mais ce serait oublier qu’il y a quelque chose du judoka sournois chez lui : en proposant un film volontairement superficiel, dont le sous-texte pour terminales L (nous sommes tous des Dolph, des gouffres en instance) et le surréalisme boiteux ne sont que des trompe-l’œil de cancre enfumé, l’autre Tenacious D utilise la force de ses adversaires pour en triompher. Comme un gosse qui se mettrait une fessée avant que vous approchiez votre main courroucée. Qui plus est, s’il n’est pas son meilleur film, Wrong est peut-être le plus drôle, le plus joyeusement désengagé, et a le mérite d’enfoncer l’un des clous les plus radicaux qu’on puisse se mettre sous les yeux. Si Quentin Dupieux est une énigme, on ne veut pas la résoudre.
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Frédéric de Vençay 9 septembre 2012
Wrong - Quentin Dupieux - critique
Quentin Dupieux vient de réaliser son meilleur film, accomplissant ce qu’il avait partiellement raté dans "Rubber" : porter à l’écran la notion d’Absurde. Ici, le non-sens, comme rarement au cinéma, parasite tous les détails du film, au point que le scénario en apprivoise totalement la notion et trouve sa cohérence dans son incohérence même. Plus besoin, donc, de métaphores ou de mises en abyme à gros sabots, simplement de l’histoire minimale de Dolph et de son chien dans un monde qui marche sur la tête, grand délire kafkaïen (l’humour en plus) auquel on ne peut pas échapper (celui qui s’y essaie ne trouvera qu’une longue route vide débouchant sur du rien). Farci de gags à froid, de trouvailles géniales, de répliques aussi glaçantes qu’hilarantes et de compositions inspirées (Judor et Fichtner, avec leur accent improbable, sont énormes), "Wrong" tient admirablement la longueur malgré la minceur de ses enjeux, terrifiante surface lisse à la profondeur paradoxale (et abyssale), qui a tout compris à l’idée de non-sens. Proche du génie.
birulune 30 mars 2017
Wrong - Quentin Dupieux - critique
D’accord sur tout !
Un film génial
Avec sa peur viscérale de la vie de famille et le rôle de Judor repompé de sa série génialissime Wrong Cop ( le pote qui couche avec ta femme)en jardinier je suis étonné de pas entendre un seul rythme techno dans la B.O