Les entretiens Avoir Alire
Le 21 avril 2013
Après trois ans d’un tournage monumental, Wong Kar-Wai revient sur l’épopée de GrandMaster. Assis sur notre fauteuil, une image mythique nous apparait. En reflet dans le miroir qui nous fait face, le cinéaste, éternelles lunettes noires et clope au bec, fume pensivement au balcon. De quoi se croire dans 2046 ! Une tasse d’eau chaude plus tard, le grand maître nous rejoint. La magie peut commencer...
- Réalisateur : Wong Kar-wai
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Après trois ans d’un tournage monumental, Wong Kar-Wai revient sur l’épopée de GrandMaster. Assis sur notre fauteuil, une image mythique nous apparaît. En reflet dans le miroir qui nous fait face, le cinéaste, éternelles lunettes noires et clope au bec, fume pensivement au balcon. De quoi se croire dans 2046 ! Une tasse d’eau chaude plus tard, le grand maître nous rejoint. La magie peut commencer...
Avoir-Alire : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Philippe le Sourd.
Je travaille avec Philippe Le sourd depuis des années. On a tourné beaucoup de publicité ensemble. Je l’aime beaucoup. Mais c’est un homme de famille. Et tourner en Asie l’éloigne des siens. Il me connait bien et au fil des années il est devenu prudent...(rires). Pour GrandMaster, j’ai dit à Philippe que je voulais faire un film de kung fu en Chine. Il m’a dit ’’super faisons- le !’’ Il ne m’a posé qu’une question : combien de temps allait durer le tournage. J’ai répondu six mois. Et on a passé deux Noëls ensemble.... Il avait préparé ses affaires d’hiver. Je lui ai dit qu’il ferait mieux d’aussi prendre celles d’été...(rires).
Avez-vous eu l’impression que le film vous a échappait, que l’ampleur du projet vous submergeait ?
Non. J’ai surtout eu l’impression d’être dans un immense centre commercial, d’errer dans d’immenses allées bien garnies et de ne pas avoir le temps de tester tous les jouets que l’on me proposait ! Le monde martial et cette période sont l’un des pans les plus intéressants de notre histoire. J’aurais aimé disposer de plus de temps pour l’explorer. L’équipe était parfaite, et mon casting vraiment dévoué. A la fin du tournage, nous avons tourné quatre-vingt-dix heures d’affilée. On ne pouvait plus s’arrêter ! (rires) Quand nous avons remballé, toute l’équipe a pleuré. Pour eux, c’était comme la fin du lycée et la remise du diplôme ! Et même si ça a duré des années, ça ne m’a pas paru si long...
Votre nouveau film, GrandMaster, retrace la seconde partie de la vie d’Ip Man. Pourquoi avoir choisi de raconter le déclin d’une légende plutôt que sa gloire ?
Je pense que la gloire débute avec le déclin. On sait tous que la période avant 1940 est merveilleuse, pour Ip Man. Il est au printemps de sa vie. Mais la perfection pour le public, c’est très ennuyeux vous ne trouvez pas ! Bel homme, famille idéale, riche bourgeoisie, tout ça c’est plat et superficiel. Son destin se complexifie et s’approfondit après son triomphe, quand il commence à perdre ce qu’il croyait avoir acquis pour toujours. Autour de lui, les dominos de ses forces s’écroulent, dans le Kung Fu comme dans le privé. C’est ça qui m’intéressait, la déchéance d’un homme qui a tout. A la fin, il trouve une chose essentielle à sa vie : la transmission.
Quelle a était la première scène tournée et pourquoi ?
Nous voulions commencer par la scène d’ouverture, celle du combat sous la pluie. Cette ouverture est cruciale. Parce que finalement, une grande partie du public n’est pas capable d’identifier Tony Leung dans cette première scène de combat. Tony est certes très populaire, mais il n’a jamais joué un artiste martial ou une star du Kung fu. Cet anonymat permettait de jouer sur le mystère du premier combat. Et si je pense que ce mystère créé autour d’Ip Man en début de film est plaisant, je pense aussi que le public avait des réserves sur la crédibilité de Tony dans le rôle d’Ip Man. J’avais donc prévu de commencer par cette scène pour qu’elle soit parfaite. Et le premier jour de tournage, Tony se blesse. Pas pendant le combat, mais pendant la répétition ! Ca a était un grand bouleversement. Il a fallu l’arrêter pendant deux mois. On a dû partir en Mandchourie pour continuer à tourner en pleine neige ! Nous n’avions pas prévu d’y aller en hiver, mais il fallut s’adapter.
Pourquoi l’atmosphère du film est-elle si suffocante ?
Le film a trois chapitres. Géographiquement, deux mondes s’opposent : le Nord et le Sud. Et l’architecture du Sud est assez étouffante. Je voulais capturer cette atmosphère. Je veux dire, regardez les maisons, elles s’élèvent toutes de terres comme pour échapper à la chaleur ! Le sud c’est ça : une moiteur et une noirceur ambiante. Quand on est allés dans le nord, l’horizon s’est littéralement libéré. On reprenait notre souffle. Mais d’une certaine manière, la grandeur des espaces et leur désertification était, elle aussi à sa manière, oppressante. Dans le premier chapitre, l’espace est toujours clos, intérieur, engoncé, surchargé et quand, dans le second chapitre, on atteint le Nord, l’espace s’ouvre, s’extériorise, devient moins policé, plus sauvage, plus ancestral. Et fondamentalement, c’est aussi ça la différence entre les deux personnages : l’un (Ip Man) vit dans un monde sophistiqué et l’autre (Gong Er) vient de la nature. Dans le troisième chapitre, celui d’Hong Kong, tous deux doivent s’acclimater à cette modernité citadine qui leur est étrangère. Après la guerre civile, la ville a accueilli plus de deux millions de réfugiés.
Dans GrandMaster, la supériorité, la victoire, la défaite sont constamment renversées, à tel point qu’au final, on ne sait plus qui est le maître de qui. L’impermanence du pouvoir, serait-ce finalement ça le Kung fu ?
Oui. L’essence du Kung Fu n’est pas l’affrontement des deux pôles mais la fusion. Et en ce sens, c’est la dynamique que j’ai voulu créer. Le film n’est pas l’histoire d’un grand maître. C’est le récit de deux générations. A cette époque, le chaos a poussé les grands maîtres à chercher précipitamment un successeur. Le futur était alors incertain et on ne pouvait pas attendre que le savoir du Kung fu disparaisse ! Pour Baosen, il y a trois options : l’officiel, Ma San, et l’autre, sa fille. Face à un choix qu’il ne peut faire, il cherche une troisième voie : Ip Man. Trois potentiels grands maîtres. Un seul élu. Un par un, les candidats s’éliminent par les choix qu’ils font. De son côté, le personnage de ’’la Lame’’ a pratiquement les mêmes qualifications que les trois autres et a, à peu de choses près, le même itinéraire. Mais l’utilisation qu’il fait de son art l’entraîne à devenir voyou plutôt que maître.
Esthétiquement, le grain de l’image diffère d’un plan à un autre. Pourquoi ?
Sûrement parce-que je ne calcule pas tant en terme de plastique qu’en terme d’émotion. Chaque plan est nourri d’un sentiment différent porté par un visage différent. On n’éclaire pas de la même façon l’envie, la rage, le désespoir ou la mélancolie. Et puis le film se déroule sur plusieurs années et, par essence, est donc condamné à imager un monde en pleine mutation....
La scène du combat en gare est particulièrement impressionnante. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Avez-vous eu recours à beaucoup d’effets spéciaux ?
Aucun ! A l’exception du train. C’était trop dangereux de tourner avec un train lancé à grande vitesse. Le reste ce ne sont que des coups de poings et des coups de pieds ! (rires).
Vous avez travaillé avec BUF pour les effets spéciaux. Comment s’est passé la collaboration ? Etiez-vous directif ou plutôt libéral ?
On travaille ensemble depuis des années vous savez. Notre technique est bien rodée. Le train n’était pas tant difficile à créer que la neige. Il fallait qu’elle soit si naturelle que vous puissiez la sentir.
Vous avez utilisé la musique de Once upon a time in America. Était-ce votre manière de réaliser votre ’’Once upon a time in China’’ ?
Ou plutôt ’’Once upon a time in Kung fu’’ ! (rires). En fait c’est surtout un hommage à Sergio Leone. J’ai l’impression qu’aujourd’hui le cinéma a perdu en densité, dans un sens épique du moins. Dans Once upon a time in America vous vous sentez happé par cette communauté, vous êtes dans l’époque et vous avez l’impression d’y appartenir. C’est ce sentiment que je voulais pour mon film.
A l’image de Once upon a time in America, existe-il une version longue de GrandMaster que vous prévoyez de sortir ?
Pas à ce stade.
En matière de chorégraphies, vous avez travaillé avec Yuen Woo-Ping, alors que vous collaboriez auparavant avec Sammo Hung. Pourquoi ce changement ?
Sammo Hung a déjà fait deux films sur Ip Man. Il est donc très difficile pour lui de travailler différemment. Je pensais qui plus est que Yuen Woo-Ping serait parfait pour ce film, parce que sa famille vient du Nord, et son père faisait partie de la première génération d’artistes martiaux du Nord.
Visuellement, le contraste entre tradition et modernité est palpable dans GrandMaster. Et comme dans In the mood for love et 2046, vos héros semblent coincés entre deux mondes : celui du présent réel et celui du passé mythifié. Votre cinéma est-il hanté par l’idée d’un âge d’or, d’un ’’paradis perdu’’ ?
C’est intéressant comme point de vue. A mon sens, le film rappelle que cette nostalgie n’est pas une fatalité mais une question de choix, un choix personnel. Zang prefère rester dans son passé car elle s’y est construite dans l’espoir et le regard de son père. Dans GrandMaster la succession des époques révèle une période de transition pour la Chine. Zang préfère rester dans le passé qu’elle sait, qu’en quelque sorte, elle y appartient. Pour garder la dignité et l’honneur de sa famille, elle doit s’y retirer. Certains font le choix d’avancer, de faire des vœux et des projets d’avenir, mais c’est un choix personnel. Et certains préfèrent reculer.
Maintenant que c’est fini, est-ce douloureux de dire au revoir à votre film ?
Non ça va ! (rires). Je ne dirais pas que c’est douloureux, je suis très reconnaissant à l’équipe et très content de la dernier version du film. J’ai vraiment de la chance d’avoir eu l’opportunité de faire le film que je voulais, avec qui je voulais, sur la durée que je voulais.
Il existe une vidéo très émouvante d’Ip Man qui, à la fin de sa vie, fait la démonstration de ces mouvements. Est-ce cette image qui vous a marqué ?
Oui. Je suis un grand amateur de films de kung fu, mais je n’arrivais pas à trouver d’angle pour en réaliser un. La plupart de ces films ont trait à la victoire, la vengeance... C’est en voyant ce documentaire que j’ai trouvé mon angle : la transmission. Comment partager ce que vous avez appris aux jeunes générations ?
Vous avez d’ailleurs travaillé cette fois ci avec une équipe plus jeune, était-ce la même chose pour vous ? L’envie de léguer aux jeunes générations ?
Dans un sens c’est vrai. Pour faire ce film monumental j’avais besoin de sang neuf. Et aussi parce que volontairement, il tranche et se singularise d’avec mon œuvre antérieure. C’est un film à part, qu’il faut aussi regarder avec un œil neuf. Et puis ça m’a permis de découvrir un peu la relève du cinéma, de m’enthousiasmer pour leurs vision, de craquer pour des réalisateurs talentueux, tel que Tom Woods.
Quel est votre film de Kung fu préféré et pourquoi ?
Vous savez en Chine, on est entouré par les films de Kung fu depuis notre enfance ! Mais je crois que s’il fallait n’en citer qu’un, ce serait sûrement La franchise dédiée à Wong Fei hung.
Aimez-vous la nouvelle version de Tsui Hark ?
Il est très inventif. Il l’a rendue plus jeune, avec Jet Li.
Avoir-Alire : Que pensez-vous de la place du cinéma hongkongais à l’égard du marché chinois ?
Une des raisons pour lesquelles nous avons dû attendre si longtemps pour faire ce film, c’est qu’il est très coûteux. Sur ce marché, il faut trouver le financement nécessaire. Beaucoup de personnes disent que de plus en plus de films hongkongais perdent leur saveur parce qu’ils doivent être en compétition avec le marché chinois. Je ne pense pas que ce soit réellement vrai : le cinéma hongkongais a vocation à s’exporter. Ça ne le rend pas moins intéressant.
La critique de GrandMaster ICI
Propos recueillis le 8 mars 2013, à Paris.
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